L'Entrepreneuriat Deeptech : le futur n'étant pas prévisible, construisons-le
Se risquer à formuler des prévisions dans le domaine du numérique présente inévitablement un risque. Celui de se tromper lourdement. L’histoire (récente par définition) des Technologies de l’Information et de la Communication est pavée d’inattendus. Ayant personnellement acté le caractère imprévisible de l’évolution des Technologies, vous ne trouverez dans ce texte aucune prospective sur le devenir de l’Entrepreneuriat Deeptech.
En revanche, vous y découvrirez une proposition, fondée sur une croyance forte et, je l’espère, suffisamment argumentée.
Préalablement à l’énoncé de cette proposition, commençons d’abord par signaler les attributs de l’entrepreneuriat Deeptech. Certains lui sont favorables. D’autres sont autant de défis à relever pour transformer les promesses de cette forme particulière d’Entrepreneuriat en réalités.
L’Entrepreneuriat Deeptech présente un grand nombre d’atouts. Citons-en trois, irréfutables. D’abord, le recours à des technologies de pointe, rendu possible par un effort intense en R&D, permet aux start-up de la Deeptech d’imaginer des solutions particulièrement inventives et stimulantes pour résoudre des problèmes qui ne trouvaient jusqu’alors pas de solutions. Le champ des possibles entrepreneurial est en quelque sorte élargi. Ensuite, les exigences techniques sur lesquelles se fonde la promesse d’une start-up en Deeptech lui confèrent des barrières à l’entrée, bien utiles pour se protéger d’une concurrence devenue de plus en plus vivace sur pratiquement tous les marchés. Enfin, les start-up positionnées sur le segment de la Deeptech bénéficient en France d’un accès facilité aux ressources, financières et humaines, ce qui devrait normalement augmenter leur probabilité de succès à terme. Sur ce dernier point, prenons ici pour preuves l’existence en France de plusieurs fonds d’investissement dédiés aux start-up en Deeptech, la présence d’ingénieurs reconnus et de chercheurs de hauts niveaux sur le territoire national ainsi que la création de nombreux dispositifs d’aides publiques comme le Crédit Impôts Recherche (CIR) ou le Programme Investissements d’Avenir (PIA) de la Banque Publique d’Investissements (BPI).
Pour tenir leurs promesses, les entrepreneurs Deeptech devront toutefois surmonter un certain nombre d’obstacles qui se hissent devant eux comme autant d’écueils à éviter. Énonçons-en deux. Premièrement, développer une solution en Deeptech peut parfois avoir tendance à éloigner l’entrepreneur du problème qu’il souhaite résoudre. Dans le monde entrepreneurial, il est convenu de dire qu’il est toujours préférable d’être passionné par le problème que l’on souhaite résoudre plutôt que d’être attiré par la solution que l’on imagine proposer. S’envisager comme un entrepreneur dans la Deeptech revient parfois à se définir à partir des propriétés de sa solution et non des caractéristiques du problème que l’on tente de traiter. En voulant développer un écosystème de start-up positionnées dans la Deeptech, le risque (qu’il nous appartient d’éviter) est donc de créer un réseau d’entreprises particulièrement inventives mais assez peu innovantes. Rappelons ici qu’une solution originale ne peut passer du statut d’« invention » au rang d’« innovation » qu’à la seule condition d’avoir obtenu une validation de la part du marché qui vient lui apporter un ou des cas d’usage et par la même occasion toute sa valeur.
Deuxièmement, les entrepreneurs dans la Deeptech rencontrent souvent des difficultés de temporalité dans la conception de leurs produits ou de leurs services innovants. En raison des efforts à consentir pour développer des solutions complexes sur le plan technique, ce type d’entrepreneurs est contraint par une phase de « go-to-market » particulièrement longue. L’un des plus grands dangers réside alors dans le fait d’être pris dans des tunnels de R&D qui n’en finissent plus et d’être empêché d’avoir, à court terme, des preuves de l’intérêt du marché pour sa solution.
Au regard de cette présentation des atouts et des risques inhérents à l’entrepreneuriat Deeptech, un certain nombre d’observateurs prennent position sur le futur de ce nouveau phénomène. Ils débattent. Si bien qu’à la même table s’opposent fréquemment ceux qui plaident en faveur de cette nouvelle forme d’entrepreneuriat et ceux qui considèrent qu’elle est une impasse.
Ce débat est vain car il place ceux qui y participent dans une posture attentiste qui ne peut raisonnablement pas être la nôtre. N’essayons pas de savoir si l’Entrepreneuriat Deeptech apportera à la France la prochaine série de « décacornes ». Essayons. Tentons. Expérimentons.
Pour sortir par le haut de cette controverse habituelle qui accompagne généralement n’importe quelles évolutions dans le monde numérique, il faut agir. Sans céder au déterminisme. Agir, faire et expérimenter pour savoir. Agir en recherche pour faire progresser notre compréhension de ce nouveau phénomène entrepreneurial. Agir en enseignement par le développement d’initiatives pédagogiques en entrepreneuriat Deeptech. Et enfin, agir en expérimentant, en stimulant et en accompagnant la création de start-up à forte intensité technologique.
Si le futur est imprévisible, alors construisons-le. Cette proposition s’inscrit dans la droite ligne des initiatives prises par Télécom Paris pour expérimenter, entreprendre et tester. En témoignent la formulation de sa nouvelle raison d’être et les dernières initiatives lancées en ce sens.
Thomas HOUY
(Docteur Télécom Paris) est Maître de Conférences en Management à Télécom Paris. Il enseigne l’entrepreneuriat et la stratégie d’entreprise. Ses recherches intègrent des considérations sur les trajectoires de disruption des marchés par le numérique. Il porte également une attention particulière aux facteurs clefs de succès des start-up.