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30 décembre 2020

DeepTech, l'hypolasie européenne

Couplées aux grands investisseurs institutionnels, les sociétés de gestion opérant des fonds de capital-investissement Deeptech à destination d’entreprises en phase de forte croissance, contribuent à transformer le paysage industriel européen, en participant à l’émergence de leaders à vocation mondiale dans le champ des principales technologies émergentes.


Des entreprises discrètes, mais indispensables…

Les services web et les places de marché en ligne polarisent tellement l’attention depuis quelques années que l’on en oublierait presque le terreau de technologies essentielles sur lequel ces start-up ont pu prospérer. Hier comme aujourd’hui, les avancées en optique, en chimie ou en science des matériaux permettent la mise au point de nouveaux procédés pour la fabrication de nos terminaux et de nos infrastructures.

Forte de sa tradition industrielle, l’Europe abrite ainsi des centaines de milliers d’entreprises innovantes de taille moyenne, disposant, grâce à la maîtrise de ces technologies clés, d’un potentiel de croissance important, mais rarement exprimé à son maximum.

Réalisant un chiffre d’affaires solide et déjà rentables, souvent portées par leurs fondateurs, disposant d’un premier portefeuille de brevets à vocation défensive, essaimées de la recherche académique et parfois installées à l’écart des grands clusters d’innovation, elles évoluent sous les radars, enfouies dans le tissu de sous-traitance des ensembliers et des grandes entreprises à vocation mondiale. À ce stade, comment croître ?

… qui doivent avoir accès à des capitaux en mid-stage

Qu’il soit public ou privé, dilutif ou pas, le financement disponible à l’échelle européenne pour accompagner les premiers stades du développement d’une start-up innovante ne manque pas. La situation se tend à partir des tours de financement post-série A. Sur les dix dernières années, parmi les entreprises européennes ayant obtenu du capital d’amorçage, seules 4 % d’entre elles réussissaient à lever une série C (aux États-Unis, ce taux est quatre fois plus élevé).

C’est la raison pour laquelle le Conseil Européen de l’Innovation (EIC) a choisi pour la première fois de consacrer 1,3 Md€ sur l’année 2019/2020 à des prises de participation jusqu’à 15 M€ au capital de PME de technologies innovantes.

En France, le rapport Tibi (2019) s’est attaché à montrer tout l’intérêt, pour les allocataires institutionnels de l’assurance et de l’épargne françaises, de confier une partie de leurs fonds à certaines sociétés de gestion spécialisées dans le capital-investissement au profit d’entreprises de technologies mid-stage. Au-delà d’un rendement financier accru pour leurs souscripteurs, dans une période de taux d’intérêt historiquement bas, ces investisseurs institutionnels pourront apprivoiser les contours de cette nouvelle classe d’actifs.

Le rôle crucial des fonds de capital-investissement

En France, les sociétés de gestion spécialisées dans l’investissement de croissance dans ces « scale-up » technologiques se retrouvent désormais au centre du jeu. Leurs équipes sont souvent composées d’anciens dirigeants de telles entreprises à succès, parfaitement au fait des dernières avancées technologiques et rompus aux négociations financières liées à chaque stade du développement.

L’accompagnement opérationnel est une pratique in vivo qui touche à l’ensemble des équilibres et des fonctions de l’entreprise, afin de la transformer en un leader mondial de son domaine. Les associés de la société de gestion sauront établir une valorisation, identifier les partenaires pertinents pour les fusions-acquisitions intermédiaires, et enfin préparer et négocier la sortie, en alignant les intérêts de toutes les parties en présence. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, il s’agira de soutenir la constitution d’une vraie stratégie de portefeuille, d’analyse fine de la qualité des brevets et de gestion de leur monétisation.

En complément de cette expertise humaine, certaines sociétés s’appuient également sur des solutions d’intelligence artificielle afin d’alimenter leur « deal flow » en amont, de préparer les « due diligences », ou de cartographier les marchés concurrentiels.

Une opportunité pour l’Europe

Comme les cathédrales d’antan, notre smartphone est le résultat du savoir-faire de centaines de partenaires industriels. Ses capacités d’authentification biométrique, de paiement sans contact ou d’écran tactile, pour ne citer qu’elles, proviennent de sociétés européennes ayant atteint un niveau de masse et de performance critiques, grâce à l’accompagnement transformationnel proposé par des fonds de croissance.

L’Europe manque moins que jamais d’atouts bruts face au duopole sino-américain. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, nous dépassons les États-Unis en volume de brevets accordés à l’étranger (+25 %) ainsi qu’en ratio dépôt de brevet par montant investi en recherche (+50 %), mais notre capacité à monétiser ces actifs reste perfectible.

On nous expliquera que tant que l’Europe ne disposera ni d’un pôle de cotation de ses valeurs technologiques, ni de géants mondiaux capables d’absorber ces entreprises lentement maturées, les sorties se feront systématiquement au profit de l’étranger. Reste pourtant qu’à la différence des start-up, le rachat d’une « scale-up » par une méga entreprise internationale maintiendra une bonne partie de la richesse créée sur notre sol, notamment via des centaines d’emplois hautement qualifiés.

Une certitude, pour finir. Quelles que soient les prochaines révolutions d’usages et les entreprises géantes qui en occuperont le cœur, elles s’appuieront plus que jamais sur un tissu de grands acteurs industriels qui disposent de la maîtrise « profonde » des technologies sous-jacentes. En combinant l’injection de capitaux suffisants et l’accompagnement à la croissance par des acteurs professionnels, l’enjeu pour l’Europe consistera à mettre sur orbite mondiale la galaxie de ses entreprises les plus prometteuses.


Philippe PEREZ
a travaillé dans l’industrie spatiale, le développement économique régional et la diplomatie scientifique (Japon et États-Unis). Il est depuis octobre 2020 Chief Development Officer de Jolt Capital, une société de gestion spécialisée en investissement de croissance dans des entreprises européennes de Deeptech, qui s’appuie notamment sur un moteur d’IA (Ninja) ayant permis de qualifier 750 000 sociétés cibles en deux ans.
www.jolt-capital.com

Auteur

Philippe Perez

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