Elle s’est construite sur des prémisses fausses, dans laquelle la persévérance et la frugalité sont parmi les principales clés de succès de l’explorateur. Christophe Colomb était directement associé au succès de son projet : il avait réussi à « négocier » le titre de Vice-Roi des territoires découverts, et un 1/10e des richesses que l’on en retirerait. Elle a été financée par le capital-risque. Et enfin, la mission a fini par trouver ce qu’elle ne cherchait pas, l’Amérique, alors que l’on allait vers les Indes.

PEUT-ON ENSEIGNER L'EXPLORATION  ?

Bien loin des disciplines scientifiques qui sont le socle de l’enseignement dans nos Écoles d’ingénieurs, cette dynamique exploratoire semble sans objet en salle de classe : l’entrepreneur se lance et apprend en avançant.

Pourtant c’est avant tout le modèle du scientifique dans son laboratoire, qui, par l’intuition, émet un jeu d’hypothèse, qu’il va ensuite soumettre à l’expérimentation.

Et s’il n’est pas vraiment possible de dériver une théorie de la start-up (fort heureusement), il existe, pour autant, des guides de questionnement, des méthodes, des heuristiques, pour guider l’entrepreneur dans sa quête exploratoire.

LA VALIDATION D'UNE OPPORTUNITÉ ENTREPRENEURIALE PASSE PAR L'EXPÉRIMENTATION

Explorer c’est d’abord se rappeler que je ne sais pas ce qui marche dans mon idée, de là, la seule méthode d’expérimentation pour avancer est l’expérimentation.
Dériver de ses hypothèses de départ un faisceau de tests permettant de structurer la découverte progressive du territoire.

Ed Catmul, cofondateur de Pixar a ainsi résumé la recette « magique » de Pixar : « going from suck to non suck ». À partir d’un concept de départ, Pixar teste tout. Il y a eu, tout au fil du processus de production, 43 536 variantes de Nemo, 69 562 de Ratatouille, et 98 173 de Wall-E… Voilà le chemin entre l’idée initiale et le succès final.

Esquissées par les approches Customer Development, Lean Start-up, et cadrées théoriquement par l’effectuation, des méthodologies existent pour organiser ce processus de test.

Donc oui, des principes de l’exploration entrepreneuriale peuvent s’enseigner.

DÉVELOPPER UN MODÈLE MENTAL D'ENTREPRENEUR CHEZ NOS ÉTUDIANTS

« Explorer » présuppose de développer un état d’esprit d’explorateur chez nos étudiants.

Cela commence par changer le rapport au risque. Ne pas, ne plus avoir peur de tenter et de s’exposer à l’échec.

Il faut également remodeler les schémas de pensée face au complexe : c’est-à-dire des problèmes que l’on ne comprend pas au départ. Cela veut dire, écouter les experts afin de cerner « l’état de l’art » pour - parfois - faire exactement l’inverse. « Never listen to experts » recommande ainsi Bob Sutton, Management Professor à Standord (Weird ideas that works: 11 1/2 Ways to Promote, Manage and Sustain Innovation).

Et il faut enfin « savoir » capter les signaux faibles, c’est dire mettre en place des stratégies pour enregistrer ce qui est non pertinent à l’instant présent. Rappelons-nous qu’Instagram a émergé d’un projet de réseau social géolocalisé, The BurBn, qui fut un échec total. Rien ne marchait… Rien, sauf apparemment une fonction isolée de partage de photos. Une fonction, seule parmi des centaines, qui est devenue Instagram.

ET ENFIN, SE RAPPELER QU'EXPLORATEUR N'EST QUE LA 1re VIE DE L'ENTREPRENEUR

Cette phase exploratoire est extraordinairement difficile, mais elle n’est que le début de l’aventure.

Et si, aujourd’hui, les entrepreneurs et les projets sont partout, la distribution des grands succès l’est moins. Ainsi observe-t-on que les deux zones dans le monde qui produisent les grands succès sont les États-Unis et la Chine.

Cette aptitude à produire de grandes réussites qui dominent leur marché est aujourd’hui perçue comme le maillon faible de l’écosystème entrepreneurial européen, en général, et français en particulier.

Si la fragmentation structurelle du marché européen, et une moindre disponibilité des capitaux expliquent partiellement le fait, force est de constater que nos entrepreneurs ont progressé. Ils vont aujourd’hui beaucoup plus vite à l’international, et lèvent aussi plus de fonds.

Restent deux problèmes, la sortie (qui n’est pas notre propos ici) et avoir les bons leaders. Avons-nous aujourd’hui des généraux capables de conquérir de grands territoires ?

Derrière cette question se cache une dure réalité : le développement d’un projet entrepreneurial est le fait de plusieurs vies, et exige plusieurs leaders. L’explorateur de la 1re phase va devoir céder la place à l’entrepreneur bâtisseur de son organisation, puis au CEO stratège, et enfin au leader pragmatique qui prépare la suite de son histoire.

Tout au long de ce parcours, le fondateur devra accepter de se remettre en question, et souvent, à terme, de laisser la place. Ceci constituant peut-être le critère ultime caractérisant le bon entrepreneur.

Nous avons autour de nous des étudiants, académiquement brillants et motivés pour changer le monde. Comment les préparons-nous à cet enjeu de la gestion de leur projet au fil de sa vie est une question totalement ouverte.

Là se situe peut-être le vrai enjeu de l’enseignement de l’entrepreneuriat dans nos Grandes Écoles.