De la nécessité d'entreprendre ou comment penser la société de demain
En cette période de pandémie, qui n’échappe guère à la logique bien connue du repli sur soi et de la frilosité si caractéristique des économies de crise, il convient de repenser la culture de l’entrepreneuriat et de faire enfin rimer pleinement innover et entreprendre.
Devenir une spin-off de Télécom Paris : un parcours de combattant révélant les limites de l’écosystème entrepreneurial à la française
Heureux qui comme Ulysse…[1] se lance sur les sentiers de l’entrepreneuriat, la fleur au fusil, après avoir passé de longs mois à raffiner une idée fugace en concept, un concept en business plan !
Ayant réussi à concevoir un projet[2] alliant deux de mes passions, à savoir art et mathématique, je me lançais à corps perdu dans sa réalisation. Les systèmes et la technologie développés[3], ne pouvant pas mieux concorder avec plusieurs des départements phares de recherche et d’enseignement de Télécom Paris, je me tournais tout naturellement vers mon école de cœur pour matérialiser mon projet. Si sa direction et la direction des relations entreprises prêtèrent une oreille attentive à ma demande, celle de faire de mon embryon de startup une spin-off de l’école, en me rassurant sur la qualité du projet, ma candidature à Télécom Paris Novation center ne fut pas retenue.
Entre projet considéré comme pas assez mature par certains, dossier de candidature peut-être pas assez correctement construit pour d’autres et procédure trop lourde (à mon avis), j’ai été confronté à de nombreux écueils qui poussent par ailleurs beaucoup de mes amis et camarades de Prépas Scientifiques ayant intégrés d’autres écoles d’ingénieur aussi prestigieuses que Télécom Paris à tenter l’expérience étrangère et plus particulièrement nord-américaine, où Recherche de haut niveau et Esprit d’entreprendre sont perçus avec une toute autre approche.
La révolution start-up ou comment doter la France d’armes pérennes pour garantir sa compétitivité par le Progrès (scientifique)
Constatons tout d’abord à quel point notre système d’incubation et d’aide au développement entrepreneurial manque d’organisation, de transparence et enfin de cohérence !
Revenons à la définition même du terme incuber qui signifie bien couver et veiller à l’éclosion d’une entité et non accélérer sa croissance ; si la politique de notre incubateur est de stimuler l’activité d’entreprises, il serait judicieux de le rebaptiser accélérateur afin de ne pas faire perdre de temps aux « entrepreneurs aspirants ». Dans cette même optique, il apparaît nécessaire de se doter d’un incubateur structuré et à la politique claire, afin de nous distinguer par l’excellence de notre programme d’incubation, et d’offrir des opportunités que nos concurrents ne garantissent pas à leurs protégés aussi bien par l’ouverture de collaborations étroites avec les laboratoires académiques que par le financement renforcé de projets ambitieux.
Si le modèle américain peut paraître dès lors comme un idéal inatteignable, nous pouvons tirer les leçons du modèle adopté par notre voisin helvétique qui aura su allier les spécificités de l’éducation du « Vieux Continent » avec le dynamisme nord-américain pour devenir l’une des six plus grandes places mondiales de la biotechnologie, devant même les États-Unis.
Ainsi l’EPFL, a-t-elle bâti un parc entrepreneurial et technologique, l’Innovation Park, où cohabitent, interagissent et travaillent 116 spin-off de l’école après en avoir financé près de 300 depuis 2000, pour un montant de subventions annuel moyen de 200 millions d’Euros[4]. L’école promeut également activement ses jeunes pousses à travers divers évènements d’envergure comme l’Investor Day[5].
Au sein de ce chaudron bouillonnant, la perméabilité entre recherche et industrie est naturelle et les collaborations entre chercheurs, start-uppers, et l’industrie encouragées ; une politique couronnée en 2018 par le dépôt de 90 brevets, 132 inventions et 32 licences de transferts[6] de technologie dont la valeur s’élève à près de 34 millions d’euros.
Imaginez les synergies et perspectives infinies si ces deux mondes décidaient enfin de collaborer pleinement sans le moindre préjugé sur notre sol ; car la France est mieux placée, que nul autre pays européen, pour réussir cette mutation, puisque plus des trois quarts de ses brevets sont déposés par ses multinationales ou ses grands établissements de recherche (CEA, CNRS, Inserm…).
C’est pourquoi, il est grand temps, d’une part, de « mettre fin aux querelles de clochers » entre grandes écoles d’ingénieur et de renforcer l’action coordonnée par l’IP Paris en mettant à profit les compétences et les réseaux de nos institutions en définissant une politique de promotion de l’entrepreneuriat axée sur les secteurs forts de notre pays[7], et d’autre part, de proposer un cadre rigoureux, organisé, réactif et centralisé à nos entrepreneurs que ce soit dans le contexte des start-ups ou de l’entreprise. Le médium serait la centralisation par une plateforme permettant échanges et suivi des candidatures par impétrants, jurys et enseignants-chercheurs concernés avec une possibilité de coordination par l’administration et d’accompagnement par la force vive que constituent les alumni compétents jouant aussi bien le rôle de conseillers que d’investisseurs !
À cet effet, un changement de mentalité est nécessaire puisque je me suis vu refuser la main tendue aussi bien par un alumnus que mon dernier chargé de mission dans l’incubateur : à la manière des anglo-saxons, notre réseau d’anciens devrait faire corps et être un catalyseur d’opportunités et de solidarité.
Quelle incongruité, enfin, en constatant une proportion de 0,3 % d’ingénieurs attirés par cette aventure lorsque 20 % d’une promotion d’ HEC est prête à relever le défi ! À l’inverse aux USA, la part de scientifiques-entrepreneurs est majoritaire[8].
N’est-il pas naturel que ceux disposant des compétences techniques contribuent le plus à innover ?
Entreprendre : c’est explorer le monde de demain
Si nous souhaitons faire du plateau de Saclay une technopole de rang mondial, il devient impératif de refonder notre culture entrepreneuriale en donnant le goût d’innover, d’entreprendre, d’oser dès les bancs de nos universités comme le font les suisses à l’EPFL avec le XGrant Program proposant de se lancer à ceux qui le désirent dès le niveau Bachelor[9] !
HEC l’a bien compris à travers son programme de financement de start-up, dès « la création sur powerpoint »[10], armé d’un fonds de 30 Millions d’Euros, opérationnel à partir de Décembre 2020, et sa nouvelle devise : « Tomorrow is our business ». Ce sont bien les technologies, les grandes découvertes et innovations qui font avancer les sociétés et prospérer une Nation. Si la pandémie constitue bien un défi inédit, elle est propice à de sérieuses transformations qui permettront non pas à un label, une marque, une école de briller mais à notre pays de rayonner ; et c’est bien là tout l’enjeu !
Prenons conscience que nous entreprenons dès notre naissance : nous entreprenons des études, nous entreprenons une voire plusieurs carrières, nous entreprenons de réaliser nos défis, rêves les plus chers tout au long de notre vie…
Renouons donc avec la grande tradition d’explorateurs français comme Jacques Cartier, Samuel de Champlain ou encore comme le commandant Cousteau qui firent la gloire de notre pays et permit à la France de resplendir.
Comme le disait si bien Napoléon Bonaparte, « Avec l’audace, on peut tout entreprendre, on ne peut pas tout faire ». Alors donnons enfin aux audacieux ingénieurs du XXIe siècle le pouvoir d’entreprendre !
Wenceslas GODEL
Chercheur en mathématiques, achevant une étude sur les risques de modèle avec Nicole El Karoui, Wenceslas, diplômé de Télécom Paris, est particulièrement sensible aux questions de société allant de l’économie à l’environnement en passant par les nouvelles technologies et leur application afin d’améliorer notre société. Passionné par les arts, la littérature et l’histoire, il signera une biographie de Napoléon Ier en 2021.
Références
[1] 31e sonnet du recueil Les Regrets de Joachim Du Bellay.
[2] Le projet entrepreneurial auquel je m’efforce de donner vie est la création d’un nouveau prestataire de services à destination du marché de l’art.
[3] Visualisation, machine learning, modélisation mathématique.
[4] En 2019, l’EPFL a levé CHF 285 millions pour 23 start-up, dont 10 à hauteur de 10 millions chacune !
[5] En Novembre 2019, le salon a rassemblé 78 start-up et attiré plus de 200 investisseurs suisses et internationaux.
[6} 25 de ses licences ont été accordées par des start-up. Ces contrats industriels sont gérés par un bureau dédié, l’EPFL Technology Transfert Office.
[7] Le secteur tertiaire avec les services ou la chimie en particulier est à la France, ce que les laboratoires pharmaceutiques et la biotechnologie sont à la Suisse ! Il ne s’agit que d’appliquer la théorie économique bien connue des avantages comparatifs de James Mill !
[8] 43 % des 28 766 start-up de plus 20 employés et dont le revenu dépasse 1 million, été créées entre 1995 et 200 par des scientifiques contre 33 % de profils similaires à ceux de nos écoles de commerce.
[9] Aux USA parmi les fondateurs des 28 766 start-up florissantes étudiées, 43 % furent fondées par des personnes n’ayant qu’un Bachelor, 40 % un Master ou un Doctorat. (Rapport de l’Ewing Marion Kauffman Foundation, 2008).
[10] Citation du Directeur de HEC Alumni.