Les nouvelles bandes de fréquences pour les systèmes de télécommunications par satellite
Comment le satellite peut-il rester un complément des solutions terrestres afin de fournir un accès global aux infrastructures de communications et ainsi éviter les zones blanches et résorber la fracture numérique ?
HISTORIQUE
Le premier satellite artificiel, Spoutnik, a été lancé par l’URSS en 1957 et il a été suivi par plusieurs envois de satellites expérimentaux au début des années soixante. Les premiers services commerciaux de télécommunications par satellite sont apparus à la fin de cette décennie sous l’égide de l’opérateur Intelsat. À cette époque, le satellite était considéré comme un moyen alternatif aux liaisons par câbles sous-marins ou aux liaisons par faisceaux hertziens. Ces premiers systèmes utilisaient un satellite en orbite géostationnaire de quelques dizaines de kilogrammes et de quelques dizaines de Watts de puissance embarquée. Ils se caractérisaient par une durée de vie très courte (moins de deux ans), par une faible capacité (moins de 500 canaux téléphoniques) et par un coût d’opération par canal qui serait aujourd’hui considéré comme exorbitant. Ils permettaient d’acheminer des communications intercontinentales en point à point. Depuis cette époque, les progrès techniques ont permis d’allonger la durée de vie des satellites pour atteindre aujourd’hui 15 ans, avec des satellites dépassant les 10 tonnes et pour des puissances électriques de 20 kW. Ces satellites permettent de desservir de larges zones de couverture, avec une capacité de diffusion à des centaines de milliers d’utilisateurs en même temps.
Du point de vue des bandes de fréquences, les premiers systèmes fixes de télécommunications par satellite ont été déployés dans la bande C (4-6 GHz) puis dans la bande Ku (10-15 GHz) qui constitue aujourd’hui encore la majeure partie de la flotte de satellites en opération. Ceci étant, la multiplicité des systèmes en cours d’opération a entraîné une congestion de ces bandes de fréquences allouées au Service Fixe par Satellite et amené le régulateur (l’UIT) à prendre des mesures afin d’éviter les problèmes de brouillages entre systèmes de radiocommunications. Ces contraintes peuvent se traduire en termes de limitation de densité de puissance émise ou de gabarits sur les diagrammes de rayonnement des antennes et nécessite la réalisation d’études dites de « partage » afin de démontrer que tout nouveau système ne vient pas brouiller les systèmes existants. La réalisation et les conséquences de ces études renchérissent le coût des nouveaux systèmes et il peut revenir moins cher de développer de nouveaux systèmes à des fréquences plus élevées même si leur technologie est moins mature donc plus onéreuse.
LA MONTÉE EN FRÉQUENCE
Aujourd’hui le paysage des télécommunications a complètement changé et avec à peine quelques pourcents des communications acheminées à l’échelle de la planète, les systèmes de télécommunications par satellite n’entrent plus en compétition avec les systèmes terrestres (fibre optique, réseaux d’accès sans fil) qui offrent des coûts par bit transmis réduits, de larges bandes passantes et des temps de latence très courts. Toutefois, ils présentent toujours l’avantage de pouvoir être déployés plus rapidement et à moindre coût en l’absence d’architecture terrestre existante, une flexibilité accrue en termes de gestion réseau. Par ailleurs, ils possèdent une spécificité due à leur capacité intrinsèque d’établissement de liaisons point à multi-points qui les rend incontournables pour couvrir des territoires qui ne disposent pas d’infrastructure terrestre performante (régions montagneuses, régions à faible densité de population) et pour offrir des services dans les domaines maritime (flottes de navires marchands ou militaires) et aérien (avions, drones). Les systèmes de communication par satellite ne constituant en fait qu’une des composantes de l’infrastructure globale de télécommunications, ils doivent donc s’y intégrer en offrant des capacités analogues aux systèmes terrestres notamment en termes de débits de données.
De ce point de vue, le domaine des télécommunications et notamment des télécommunications spatiales est actuellement en pleine évolution du fait de besoins de plus en plus importants en termes de débits de données qui nécessitent l’utilisation de bandes passantes de plus en plus larges et ceci quelle que soit l’application considérée qu’elle soit civile ou de Défense. Par ailleurs, la multiplication des liaisons sans fil au sein des systèmes et du nombre de systèmes eux-mêmes entraîne la congestion des bandes de fréquences conventionnelles (de 1 à 10 GHz) et il est donc nécessaire d’exploiter de nouvelles ressources spectrales, plutôt dans la partie haute du spectre électromagnétique. Dans le cadre des discussions préparatoires à la CMR 2023, des études sont menées pour évaluer la faisabilité d’utiliser des fréquences plus élevées comprises entre 20 GHz et 80 GHz (liaisons entre stations de base de la 5G, communications par satellites, liaisons de données avec drones ou aéronefs) en évaluant les brouillages potentiels entre systèmes, voire à plus longue échéance pour allouer de nouvelles bandes de fréquences, notamment en millimétrique et en optique.
LES NOUVELLES BANDES DE FRÉQUENCE DES SYSTÈMES SATCOM
Afin de rester compétitif par rapport aux réseaux terrestres et de réduire le coût du bit transmis, la bande Ka (20-30 GHz) est utilisée depuis le milieu des années 2000 pour fournir des services Internet par satellite, à haut débit (dits HTS pour High Throughput Satellite), en utilisant des standards de type DVB (DVB-S2, DVB-RCS). Ces satellites (comme par exemple le satellite Ka-Sat d’Eutelsat) atteignent des capacités cumulées sur l’ensemble de la zone de couverture desservie de l’ordre de la centaine de Gbits/s.
Afin d’aller plus loin dans la réduction du coût du bit transmis, il est nécessaire d’augmenter encore plus la capacité cumulée afin d’atteindre des capacités cumulées sur la zone de couverture de l’ordre du Tbit/s, pour des systèmes dits VHTS (Very High Throughput Satellite). Pour augmenter cette capacité, les largeurs de bande disponibles en bande Ka ne suffisent pas et des ressources spectrales supplémentaires sont requises. De nouvelles bandes de fréquences sont ainsi envisagées comme la bande Q/V (40-50 GHz), la bande W (70-80 GHz), voire à plus long terme les longueurs d’onde optiques. Compte tenu des limitations et de la maturité de la technologie, ces bandes de fréquences ne seront pas utilisées pour les liaisons avec les utilisateurs grand public qui nécessitent des terminaux à coût modéré mais plutôt pour les liaisons avec les stations de raccordement au réseau terrestre. En d’autres termes, l’intégralité de la bande Ka sera réservée aux liaisons entre le satellite et les utilisateurs, et les bandes de fréquences plus élevées (bande Q/V et/ou bande W) aux liaisons entre le satellite et les stations de raccordement.
LES PRINCIPAUX DÉFIS LIÉS AUX BANDES DE FRÉQUENCE ÉLEVÉES
La montée en fréquence présente un certain nombre d’avantages déterminants. Tout d’abord elle s’accompagne de bandes passantes de plus en plus larges : en effet, si 5 GHz sont disponibles en bande Ka, 10 GHz sont disponibles en bande Q/V et en bande W. Ensuite, les tailles et masses des composants à embarquer, que ce soit dans les chaînes RF (amplificateurs, mélangeurs, guides d’onde, …) ou les antennes seront réduites ce qui présente un intérêt considérable pour des systèmes embarqués. Enfin, à taille d’antenne équivalente, les faisceaux de ces antennes seront beaucoup plus étroits et les Puissances Isotropes Rayonnées Équivalentes (PIRE), produits de la puissance émise à l’entrée de l’antenne par le gain de l’antenne seront beaucoup fortes que dans les bandes plus basses. En effet il n’est pas possible d’augmenter la taille des antennes bord au-delà d’une certaine limite du fait de la contrainte physique majeure liée à la taille de la coiffe du lanceur, donc quelle que soit la bande considérée, il est possible de considérer des antennes de taille similaire.
Toutefois, cette montée en fréquence se traduit également par des limitations importantes. En premier lieu, la maturité de la technologie : en effet, si les composants en bande Ku sont très bon marché et si ceux en bande Ka commencent à arriver à maturité, il n’en est pas de même en bande Q/V et encore moins en bande W qui étaient jusqu’alors des bandes de fréquences utilisées principalement pour des applications de Défense et avec des filières essentiellement US donc plus difficilement accessibles. Ensuite, les zones de couverture des satellites étant une juxtaposition de faisceaux d’antennes répartis sur la zone à desservir (quelques dizaines actuellement, quelques centaines pour la génération à venir), les problèmes d’interférence entre ces faisceaux seront de plus en plus critiques au fur et à mesure que la fréquence et donc le nombre de faisceaux augmentent. Enfin, plus on monte en fréquence, plus les pertes liées à la propagation à travers l’atmosphère augmentent.
LES LIMITATIONS LIÉES À LA PROPAGATION DES ONDES À TRAVERS L’ATMOSPHÈRE
Pour des fréquences supérieures à 10 GHz, il est nécessaire de prendre en compte l’influence de la propagation dans la troposphère et notamment les effets qui atténuent les signaux : principalement l’atténuation par les gaz (oxygène et vapeur d’eau), l’eau liquide dans les nuages et la pluie, ainsi que la scintillation due à la turbulence atmosphérique. La plupart de ces effets augmentent rapidement avec la fréquence, leur occurrence dépend significativement des caractéristiques climatiques. L’effet majeur qui va dimensionner les marges des bilans de liaison est l’atténuation due à la pluie. Cette atténuation variant fortement au cours du temps, elle va entraîner une coupure de la liaison à chaque fois que la marge du bilan de liaison sera dépassée, entrainant de fait une indisponibilité de la liaison. Pour les systèmes HTS et VHTS considérés dans ce papier, les disponibilités recherchées sont de l’ordre de 99,9 % sur les liaisons utilisateurs et de 99,99 % sur les liaisons avec les stations de raccordement au réseau terrestre.
Différentes techniques existent de manière à compenser les affaiblissements de propagation. Pour les systèmes HTS en bande Ka, deux techniques sont utilisées principalement. La première est la gestion de puissance qui permet d’adapter la puissance de la station émettrice afin de maintenir un niveau des porteuses constant à l’entrée de la charge utile et ainsi compenser une partie des pertes sur la liaison montante. La seconde consiste à faire varier la forme d’onde en jouant sur le codage et la modulation, à partir d’un ensemble de codes et d’indices de modulation disponibles dans le système. Avec ces deux techniques, il est possible de respecter les objectifs de disponibilités à la fois sur les liaisons avec les utilisateurs et sur les liaisons avec les stations de raccordement.
En ce qui concerne les systèmes VHTS, c’est-à-dire utilisant la bande Ka sur les liaisons avec les utilisateurs et la bande Q/V (voire la bande W et/ou l’optique) sur les liaisons avec les stations de raccordement, ces techniques continuent à être considérées. Toutefois, elles ne sont plus suffisantes pour maintenir une disponibilité acceptable sur les liaisons avec les stations de raccordement. Il est donc nécessaire d’introduire une nouvelle technique, dite de diversité, qui consiste à introduire dans le système des stations de raccordement supplémentaires afin de re-router les communications vers les stations non impactées par les fortes atténuations dues à la pluie.
POUR CONCLURE
Des systèmes de communication par satellite en bande Ka sont mis en œuvre depuis peu afin de fournir aux utilisateurs des services à haut débit d’accès à Internet partout dans le monde. Ces nouveaux systèmes ont été conçus à partir de gros satellites géostationnaires et utilisent des bandes de fréquences plus élevées que les systèmes précédents afin de bénéficier de conditions de régulation plus favorables et offrir des débits utilisateurs plus élevés.
La génération prochainement mise en place pourra utiliser la bande Q/V pour les liaisons avec les stations de raccordement aux réseaux terrestres. Ultérieurement, des bandes de fréquences encore plus hautes comme la bande W ou l’Optique permettront d’atteindre des débits encore plus élevés de manière à rester compatible avec le déploiement des différentes étapes de la 5G.
Plus que jamais, le satellite reste un complément nécessaire aux solutions terrestres afin de fournir un accès global aux infrastructures de communications et ainsi éviter les zones blanches et résorber la fracture numérique.
Laurent CASTANET
Ingénieur Télécom Bretagne (spécialité Hyperfréquences), et diplômé en 1992 du Mastère Spécialisé Systèmes de Communications Spatiales de Télécom Paris.
Laurent est responsable de l’unité Propagation, Environnement et Radiocommunications au sein du Département Electromagnétisme et Radar de l’ONERA.
Il est aussi responsable de la délégation française et Vice-Président de la Commission 3 (Propagation) de l’UIT-R.
Laurent s’intéresse tout particulièrement à l’influence de la propagation et de l’environnement électromagnétique sur les performances des systèmes de radiocommunication et radar.
GLOSSAIRE
CMR Conférence Mondiale des Radiocommunications
DVB-S Digital Video Broadcasting - Satellite
DVB-RCS Digital Video Broadcasting – Return Channel by Satellite
Bande Ka Liaison montante autour de 30 GHz, liaison descendante autour de 20 GHz
Bande Q/V Liaison montante autour de 50 GHz, liaison descendante autour de 40 GHz
Bande W Liaison montante autour de 80 GHz, liaison descendante autour de 70 GHz
HTS High Throughput Satellite
VHTS Very High Throughput Satellite
UIT-R Union Internationale des Télécommunications, secteur Radiocommunications