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28 octobre 2020

Les violences sexistes et sexuelles dans le monde : l'autre pandémie

Alors que la pandémie de la Covid-19 a démarré en décembre 2019, la crise sanitaire internationale a révélé combien les conséquences immédiates et sur le long terme étaient multiples, touchant tous les domaines de nos sociétés. Qu’en est-il de l’égalité femmes-hommes ? Le confinement généralisé de la population a eu des répercussions – dramatiques – sur les droits des femmes que ce soit en matière de violences conjugales et intrafamiliales qui ont augmenté partout dans le monde ou de droits sexuels et reproductifs qui ont subi des atteintes sans précédents. Quels dispositifs ont-ils été mis en place par les pouvoirs publics pour lutter efficacement et durablement contre les violences sexistes et sexuelles ? Quels sont les manquements ?


LA PANDÉMIE DE LA COVID-19 : UN AMPLIFICATEUR DES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

Durant le confinement, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé à « un cessez-le-feu mondial immédiat » et à des mesures face à une « horrible flambée mondiale de violence domestique »[1]. D’après l’ONU, les signalements sur les plateformes dédiées ou via les lignes nationales d’écoute ont augmenté de 30 % à près de 200 % dans certaines régions du monde[2]. En Chine, où l’épidémie a émergé, le commissariat du comté de Jianli dans la province de Hubei a enregistré trois fois plus de cas de violences domestiques en février que l’année précédente au même mois[3]. En France, au niveau de la préfecture de police de Paris, une hausse des violences conjugales de 36 % a été constatée en une semaine ; en zone gendarmerie, l’augmentation est de 32 %. Au Pérou, un mois après le confinement, « 915 femmes ont été signalées comme "disparues" ».[4]

Face à cette situation alarmante, certains États ont mis en place des dispositifs d’alerte, notamment par sms au 114, dans les pharmacies[5] et dans les supermarchés pour alerter les forces de l’ordre et bénéficier d’un accompagnement, comme cela a été le cas en France, en plus du numéro national d’écoute, 3919 et de la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr. 20 000 nuits d’hôtel ont, de plus, été allouées pour mettre fin à la cohabitation, et le financement par l’État d’un million d’euros pour les associations a été annoncé en France.[6]

Le confinement a amplifié les violences sexistes et sexuelles qui constituaient déjà un véritable fléau dans nos sociétés, avant l’apparition de la pandémie de la Covid-19. Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d’ONU Femmes, le rappelle : « [au] cours des douze derniers mois, 243 millions de femmes et de filles (âgées de 15 à 49 ans) ont été victimes de violence physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime ». Selon elle, « ce nombre devrait vraisemblablement augmenter » cette année d’autant que l’on sait qu’il est sous-estimé, moins de 10 % de femmes victimes de violence portant plainte dans le monde.[7]

En France, l’enquête de la délégation aux victimes en fait état : elle révèle qu’en 2019, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, soit une augmentation de 21 % par rapport à 2018 ; 25 enfants ont également été tués, victimes d’infanticides ou dans le contexte de violences conjugales[8]. 68 % des femmes victimes avaient déposé plainte pour des violences antérieures contre les auteurs du féminicide[9]. En 2019, l’ensemble des acteurs – institutions, professions juridiques et médicales, police et gendarmerie, associations – s’était réuni au cours du Grenelle contre les violences conjugales, lancé par le gouvernement d’Édouard Philippe. La législation contre les violences sexistes et sexuelles a été renforcée avec plusieurs mesures : la généralisation du bracelet anti-rapprochement contre les conjoints et ex-conjoints violents, l’exception au secret médical en cas de danger immédiat, l’introduction du délit d’espionnage sans consentement à travers la mise en place de logiciels espions sur les smartphones, ou encore l’allongement du délai de prescription à trente ans pour les crimes sexuels commis sur mineurs, la lutte contre le cyberharcèlement, la création de l’outrage sexiste pour verbaliser le harcèlement de rue.

Un an après le Grenelle contre les violences conjugales, les associations comme la Fondation des femmes et le collectif #NousToutes en appellent néanmoins toujours à une politique plus ambitieuse et volontariste qui ne peut se traduire qu’à travers des financements importants pour améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes dans les services de police et en gendarmerie, renforcer les formations auprès de tous les acteurs en charge de ces questions, augmenter le nombre de places dans les centres d’hébergement et l’accompagnement des femmes et des enfants.[10]

LES DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS MENACÉS DANS LE MONDE

Ces chiffres tragiques s’inscrivent dans un contexte européen où les partis conservateurs ne cessent d’attaquer les droits des femmes et instrumentalisent la crise sanitaire internationale pour les faire reculer encore davantage. Après la Bulgarie en août 2018, la Slovaquie en mars 2019, la Hongrie en mai cette année, c’est au tour de la Pologne d’annoncer en juillet son retrait de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique[11], suivie par la Turquie, en raison de la seule présence du mot « genre », qui irait à l’encontre, selon les populistes les plus fervents, de leur définition réactionnaire de la famille.

Durant la crise sanitaire liée à la Covid-19, le parti conservateur, Droit et Justice, a d’ailleurs porté, à la Diète polonaise, un projet de loi visant à interdire les IVG et toute forme d’éducation sexuelle à l’école[12]. Le Parlement y a renoncé – pour l’instant – à la suite de la mobilisation de la société civile. Aux États-Unis, l’accès au droit à l’avortement a été remis en question dans l’Ohio, le Texas et le Mississipi, les IVG étant considérées comme « non essentielles » durant la pandémie[13]. Au Brésil, où la législation ne permet d’avorter qu’en cas de viol, de risque pour la mère ou de graves malformations du fœtus, la pratique de l’avortement a été rendue « quasi impossible »[14]. D’après l’ONU, face aux services de santé saturés, plus de 47 millions de femmes pourraient perdre l’accès à la contraception, entraînant 7 millions de grossesses non désirées dans les mois à venir[15]. Les crises sanitaires précédentes (Zika et Ebola) ont montré combien elles avaient un impact au-delà du virus lui-même sur la santé des femmes et sur leur autonomisation économique sur le plus long terme[16]. La crise économique dans laquelle nous sommes entrés commence à le dessiner avec une hausse du chômage en particulier chez les femmes et les jeunes, ces derniers exerçant majoritairement des emplois plus précaires. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les premières données indiquent que « les femmes […] ont été frappées de manière disproportionnée »[17] par le virus, les femmes ayant été licenciées ou ayant dû quitter leur emploi pour s’occuper de leurs enfants durant le confinement. En France également, « c’est pour les femmes que la situation s’est le plus nettement détériorée. Parmi celles qui étaient en emploi au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuent de travailler deux mois plus tard, contre trois hommes sur quatre. Quand elles sont en emploi, les femmes sont autant en télétravail que les hommes […], mais leurs conditions diffèrent », comme le souligne l’étude de l’Ined sur l’impact de la crise sur le travail.[18]

On le voit, la crise de la Covid-19 a accentué les violences sexistes et sexuelles dans le monde. Les défis à relever pour les droits des femmes sont colossaux : faire en sorte que nos droits fondamentaux ne soient pas bafoués, poursuivre le mouvement de la société civile depuis #MeToo qui participe à une prise de conscience collective de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles, et investir massivement dans des politiques publiques qui prennent en compte la dimension du genre à travers notamment des programmes de sensibilisation et de prévention dans les systèmes éducatifs pour lutter contre la culture du viol et la banalisation de la violence à l’égard des femmes qui imprègnent nos sociétés. Le monde d’après ne pourra pas se faire sans les femmes et pour cela, la vigilance sera la clé.


Références

[1] « Violence domestique : le chef de l’ONU appelle à un ‘cessez-le-feu’ face à un ‘déferlement mondial’ », ONU info, 5 avril 2020. Voir également le discours d’António Guterres : https://www.un.org/fr/un-coronavirus-communications-team/make-prevention-and-redress-violence-against-women-key-part

[2] Déclaration transrégionale sur l’intensification des efforts pour éliminer toutes les formes de violences sexistes, sexuelles et domestiques, Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Genève et des organisations internationales en Suisse, 30 juin 2020.

[3] Frédéric Lemaître, « Coronavirus : en Chine, les violences conjugales en hausse pendant le confinement », Le Monde, 28 mars 2020.

[4] Marion Bellal, « Le confinement, facteur aggravant des violences contre les femmes », La Croix, 15 août 2020.

[5] Voir « Confinement : les violences conjugales en hausse, un dispositif d’alerte mis en place dans les pharmacies », Le Monde avec Reuters, 27 mars 2020.

[6] Christine Mateus, « Violences conjugales : Marlène Schiappa annonce des points d’accueil dans les centres commerciaux », Le Parisien, 28 mars 2020.

[7] Phumzile Mlambo-Ngcuka, « La violence à l’égard des femmes, cette pandémie fantôme », ONU Femmes, 6 avril 2020.

[8] « Étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple en 2019 », ministère de l’Intérieur, 17 août 2020.

[9] Ibid., p.22

[10] Voir Centre Hubertine Auclert, CIDFF Paris, Collectif féministe contre le viol, En Avant Toute(S), Fédération des acteurs de la Solidarité, FNSF, FNCIDFF, Fondation des Femmes, FIT Une femme un toit, Institut Women Sage, La Maison des Femmes de Saint Denis, Le mouvement du Nid, Planning Familial, Union des Familles de féminicide, « Grenelle des violences conjugales, un an après : un bilan en demi-teinte pour les associations », 2 septembre 2020 (publié après le rendu de cet article). https://fondationdesfemmes.org/grenelle-des-violences-conjugales-un-an-apres/

[11] Voir Marion Bellal, « Violences sexistes, la Pologne envisage de se retire d’un traité européen », La Croix, 26 juillet 2020.

[12] Marika Bekier, Agnieszka Grudzinska, Joanna Lasserre, Anna Saignes, Agnieszka Zuk, « En Pologne, l’épidémie de coronavirus avance, les droits des femmes reculent », Fondation Jean-Jaurès, 23 avril 2020.

[13] Riley Beggin, « Ohio’s attorney general told providers to stop abortions during the coronavirus pandemic », Vox, 22 mars 2020.

[14] Meyerfeld, « Au Brésil, le calvaire des femmes qui veulent avorter en pleine pandémie », Le Monde, 29 juin 2020.

[15] « Covid-19 : l’ONU prévoit un impact désastreux de la pandémie sur la santé des femmes », ONU info, 28 avril 2020.

[16] Clare Wenham, Julia Smith et Rosemary Morgan, « Covid-19 : the gendered impacts of the outbreak », The Lancet, 14 mars 2020.

[17] Véronique Dupont, « Le Covid-19 pénalise l’emploi des femmes », La Tribune, 20 juin 2020.

[18] Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Élie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard, Laetitia Langlois, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de Covid-19 a changé pour les Français », Ined, juillet 2020.


Amandine CLAVAUD
Titulaire d’un master 2 en Études politiques à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Amandine Clavaud a rejoint la Fondation Jean-Jaurès aux secteurs International et Études en janvier 2014.
Elle est responsable Europe, Égalité femmes-hommes depuis septembre 2018.
Elle a été conseillère municipale à Saint-Brice-sous-Forêt dans le Val d’Oise (2014-2015).

Auteur

Amandine Clavaud

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