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28 octobre 2020

Un homme n'est jamais féministe, parfois proféministe...

Une mode est récemment apparue à propos des hommes qui se disent « féministes » et dont on présente l’engagement comme « essentiel » pour les droits des femmes. Il est temps de se demander si cette nouvelle habitude qui se veut bienveillante n’est pas finalement contreproductive.

Pas une semaine sans qu’un article, une campagne nous vante les mérites des hommes « les vrais », les gentils, ceux qui brillent dans le bon camp et affichent un « féminisme » évident. Cette pratique part de l’idée que l’égalité est « l’affaire de tous » (et même plus de toutes) et que les hommes doivent y jouer un rôle central. La volonté de considérer l’égalité comme une valeur universelle fait oublier que l’individu n’est pas un universel, il appartient à un groupe social.


UN PROBLÈME ÉPISTÉMIQUE INSOLUBLE

En tant qu’homme, je ne peux qu’observer que, même en dénonçant les inégalités, je reste membre d’une classe dominante qui me confère des privilèges que je ne peux pas toujours remettre en question individuellement. J’ignore en quoi consiste l’expérience du monde en tant que femme. La peur du viol ou du harcèlement sexuel par exemple, le sentiment face aux regards salaces, les sous-entendus qui me ramènent à une position infériorisée, le « sexisme bienveillant », mon expérience intime en est vierge et je ne peux comprendre ces concepts que de façon abstraite. Ma connaissance de l’inégalité entre les sexes est donc celle d’un dominant, saupoudrée de connaissances théoriques. Comment pourrais-je croire que je mène le même combat qu’une femme qui vit cela au quotidien ? D’autant que rien ne prouve que je ne profite pas impunément de tous les privilèges masculins.

On voit d’ailleurs très souvent des hommes « féministes » s’attacher à combattre les attitudes masculines qui ne les concernent pas. Je sais parfaitement qu’il m’est très facile d’être contre la prostitution puisqu’elle ne m’a jamais tenté. Être opposé à la violence physique, au viol, au foulard islamique, à l’excision : quoi de plus facile pour l’homme qui n’a pas à se remettre en question dans ces domaines ? On assiste d’ailleurs souvent à un glissement des discours masculins de l’égalité à la condamnation de l’autre, le vrai méchant, toujours le même : le pauvre, le migrant dont la désignation permet à l’homme « féministe », par prétérition, de se sentir tellement formidable.

LES BÉNÉFICES SECONDAIRES DU « FÉMINISME » MASCULIN

D’autant que se présenter comme un « homme féministe », participer à des associations mixtes, permet aux hommes de récolter des bénéfices secondaires importants. En effet, tout discours égalitaire dans la bouche d’un homme est immédiatement rétribué d’un salaire symbolique narcissiquement très nourrissant. De la même manière que notre construction sociale et notre éducation en tant qu’homme nous poussent à rechercher les applaudissements pour toute tâche ménagère réalisée, nous trouvons dans la position de l’homme « féministe » de quoi récolter les suffrages et l’admiration.

L’EMPOWERMENT DES FEMMES NÉCESSITE UN DISEMPOWERMENT DES HOMMES

Le politologue québécois Francis Dupuis-Déri a justement montré comment l’empowerment des femmes (l’augmentation légitime de leur pouvoir ou autonomie) nécessite un disempowerment des hommes (la baisse du pouvoir masculin). En effet, tout siège qui est occupé par une femme dans une assemblée d’élu·e·s nécessite qu’un homme cède sa place ou qu’un autre mette de côté son ambition de prendre sa succession. Il en va de même dans tous les domaines de la vie privée et publique. Les tâches ménagères justement partagées nécessitent que les hommes cèdent une partie de leur temps de loisir. À masse salariale constante, l’augmentation des salaires des femmes pour tendre vers l’égalité exige au minimum la stagnation des revenus des hommes. On voit donc bien que si l’égalité est la direction vers laquelle nous avançons, la marche des hommes et des femmes se réalise dans des sens opposés.

LA SOUFFRANCE MASCULINE ?

De plus, le risque est grand de voir tomber les « hommes féministes » dans un piège qui fonctionne de façon très commune : la souffrance masculine. Cette autre mode postule que la construction sociale des femmes et des hommes dans des rôles stéréotypés enfermerait pareillement les deux sexes dans une souffrance de genre. On n’a plus peur d’écrire dans des textes prônant pourtant l’égalité professionnelle que « les hommes souffrent du fait de l’inégalité avec les femmes ».

Du coup, puisque nous souffrons pareillement, puisque nous luttons de la même manière sous le label du féminisme, l’inégalité devient un problème commun où chacun doit être traité pareillement. Plus question de programmes pour soutenir les femmes dans leur carrière, interdiction de parler de quotas ou de parité, prôner la féminisation des titres devient « anti-universaliste » voire « communautariste ». N’imaginez même plus organiser une réunion féministe non mixte, car vous aurez à subir la colère de beaucoup d’hommes « féministes » qui se sentiront « exclus ».

Voilà comment un positionnement dont le principe est parfois bienveillant peut se retourner et devenir un outil pour maintenir le statu quo de l’inégalité entre les femmes et les hommes. Car comme le résumait l’anthropologue Françoise Héritier, ce qui définit le masculin, c’est le pouvoir et ce qui définit le pouvoir, c’est le masculin.

À chaque homme de réfléchir à la manière de sortir de la hiérarchie des genres. Non pour y gagner quoi que ce soit, mais par désir de justice.


Patric JEAN
Dernier livre « La Loi des Pères » aux éditions du Rocher

Auteur

Patric JEAN

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