DetecTeppe un patch connecté au service des personnes épileptiques
Détecter efficacement les crises d’épilepsie grâce à un patch connecté et à l’intelligence artificielle pour améliorer la qualité de vie des patients souffrant d’épilepsie
L’épilepsie, une maladie chronique handicapante
L’épilepsie est un syndrome neurologique se traduisant par des périodes d’activité électrique anormale du cerveau, communément appelées « crises ». Les symptômes sont fonction de la zone du cortex cérébral touchée par ces perturbations et vont d’une rupture de contact jusqu’à la perte de connaissance pouvant être accompagnée d’une chute brutale et de convulsions (appelée crise généralisée tonico-clonique). Selon l’ILAE (International League Against Epilepsy), il existe plus de 70 formes d’épilepsie et pour cette raison, il est plus juste de parler « des épilepsies » que « de l’épilepsie ». Ce n’est pas une maladie contagieuse, ni une maladie mentale, et souvent il n’y a pas de cause individualisée. Quand les causes sont connues, celles-ci peuvent être : traumatisme crânien, tumeur, infection (encéphalite ou méningite), génétique, malformation...
Cette pathologie est la 3e maladie neurologique la plus fréquente, derrière la migraine et les démences : elle touche plus de 500 000 personnes en France et plus de 50 millions dans le monde. Il existe une surmortalité chez les personnes épileptiques, et cette maladie engendre souvent une stigmatisation pour les patients et leurs proches même si l’épilepsie est stabilisée.
Si plus de 25 molécules antiépileptiques sont disponibles, environ 30 % des personnes épileptiques continuent de souffrir de crises malgré la prise de traitement. Ces formes dites pharmaco-résistantes sont un handicap au quotidien [1]. En effet, outre les risques de blessure, de chutes, de mort soudaine liée à l’épilepsie, d’effets secondaires liés aux médicaments, de moindre intégration socioprofessionnelle, d’altération de la qualité de vie sous-tendue principalement par des comorbidités psychiatriques (essentiellement l’anxiété et la dépression), les personnes avec une épilepsie pharmaco-résistante reçoivent quatre à neuf fois plus de soins que les personnes avec une épilepsie bien contrôlée [2] entraînant un coût de prise en charge élevé [3].
C’est pour limiter cet isolement social et cette altération de la qualité de vie qu’il est nécessaire de continuer d’investir dans la recherche et de trouver des solutions chimiques, chirurgicales mais aussi technologiques.
Des partenaires complémentaires : L’établissement médical de la Teppe et AURA
LA TEPPE
Un établissement unique en France
Créé en 1856, La Teppe est le premier établissement d’Europe à avoir proposé un accueil spécifique pour les personnes souffrant d’épilepsie. La Teppe accueille des patients de la France entière et prend en charge 500 patients et résidents souffrant d’épilepsie, de troubles psychiques et de handicaps liés à l’épilepsie ou la perte d’autonomie [4]. En réponse aux besoins du territoire, le champ d’intervention de La Teppe s’est élargi à différentes activités. Un pôle psychiatrie dédié à la santé mentale des femmes a été créé ainsi que des structures médico-sociales assurant un lieu de vie adapté pour des personnes handicapées et épileptiques. L’ensemble de ces activités a été complété par la création de deux maisons de retraite.
Grâce à son expérience et à sa pratique tournées vers l’innovation, La Teppe dispose aujourd’hui d’une expertise incontestable en matière de neurologie et de psychiatrie. Elle privilégie notamment des projets et des initiatives visant à réduire le poids des handicaps dans la vie de ses patients touchés par des pathologies lourdes et complexes. La Teppe se conçoit aussi comme un laboratoire de recherche et d’innovation, participant activement au transfert de certains résultats de recherche vers les patients. Cette capacité à l’amélioration des bonnes pratiques cliniques s’appuie à la fois sur la compétence et la pluridisciplinarité de ses équipes et sur un réseau unique de partenaires, intégrant des médecins, des professionnels, des chercheurs et des établissements d’enseignement supérieur.
AURA
une association technologique et humaniste
Aura est une association loi 1901 fondée en 2017 dans le but de concevoir une solution ouverte de détection et de prédiction des crises d’épilepsie. Il s’agit d’un projet s’inscrivant dans la mouvance « Open Science », mené par une équipe convaincue de la nécessité d’une collaboration interdisciplinaire et bienveillante face à des problématiques médicales aussi complexes. L’ensemble des développements suit donc les règles de l’open source et de l’open hardware dans l’optique de favoriser :
- la transparence et la traçabilité.
- la confiance de ses utilisateurs.
- la reproductibilité de la recherche.
- l’interopérabilité (point d’importance majeure pour la santé),
- l’accessibilité (avec un objectif pédagogique notamment).
À titre d’exemple, les premières librairies logicielles développées au sein de l’association sont aujourd’hui publiées [5] et donnent lieu à de nouvelles collaborations internationales.
Partie d’un noyau de quelques personnes, l’association fédère aujourd’hui ingénieurs, designers, médecins, personnes épileptiques… tous focalisés sur ce défi à fort impact humain et social. En effet, nous pouvons facilement imaginer l’avancée extraordinaire qu’un système de prédiction des crises représenterait pour toute personne souffrant d’une forme pharmaco-résistante d’épilepsie. Un sondage réalisé en 2016 par l’Epilepsy Foundation [6] confirme notamment qu’une grande majorité de personnes épileptiques est demandeuse de moyens de prédiction des crises.
En parallèle de cet objectif, Aura s’intéresse à la notion de détection et de quantification objective des crises d’épilepsie au travers du projet DetecTeppe. Cet phase s’inscrit dans une démarche d’amélioration du suivi de l’évolution de la pathologie. Pour différentes raisons (crises nocturnes, amnésies induites…), la perception du patient sur sa maladie peut être biaisée [7]. Une solution établissant un rapport objectif à destination de l’équipe médicale permettrait alors de gagner en réactivité sur l’adaptation personnalisée du projet de soins et d’accompagnement.
Un projet à la pointe de la recherche médicale
Depuis près de 20 ans les recherches scientifiques se concentrent sur l’élaboration de systèmes de détection des crises d’épilepsie s’appuyant sur la mesure du signal EEG de surface ou intracrânien. Pour faciliter ces travaux, de larges bases de données EEG annotées par des cliniciens experts ont été mises en place. Les groupes de recherche ont alors proposé des systèmes experts [8], des algorithmes de machine learning [9] et plus récemment de deep learning [10] permettant la détection des crises avec des résultats prometteurs (forte sensibilité et faible nombre de fausses alertes).
De même, ces dernières années, les publications à l’échelle internationale se sont multipliées pour aller plus loin et développer des algorithmes permettant de détecter les signes avant-coureurs des crises dans le but de concevoir des systèmes de prédiction efficaces [11]. Ces signes précurseurs seraient identifiables dans un cadre hospitalier de quelques secondes jusqu’à 60 minutes en amont de la crise selon la pathologie des patients.
Néanmoins l’usage de la mesure EEG en surface reste très limité en conditions réelles en raison des difficultés à porter le dispositif de façon satisfaisante (mauvais contact des électrodes sèches avec le crâne, mauvais positionnement des électrodes) ainsi qu’en raison d’artefacts de mouvement importants. De plus les casques EEG sont extrêmement visibles et stigmatisants pour les personnes épileptiques qui sont moins de 10% à imaginer les utiliser durant leur vie quotidienne. La mesure EEG intracrânienne quant à elle se révèle moins bruitée mais impose une chirurgie au patient afin d’installer l’implant qui permettra la mesure, ce qui limite son usage.
Des études récentes ont mis en évidence des altérations du système nerveux autonome pendant les crises d’épilepsie [12]. Ces altérations peuvent être observées dans plus de 70 % des cas par l’intermédiaire de variations du rythme cardiaque, mesuré par électrocardiogramme (ECG) [12]. S’appuyant sur ces recherches, des algorithmes de détection [13] et d’anticipations des crises [14] commencent à voir le jour.
IA et Edge Computing pour détecter et prédire les crises d’épilepsie
Le projet DetecTeppe se concentre dans un premier temps sur la détection des crises d’épilepsie. La méthode développée se base sur une mesure et une analyse en temps réel des perturbations de l’activité du système nerveux autonome (rythme cardiaque). La solution en cours de développement est ainsi composée de trois briques technologiques :
- Un objet connecté (par Bluetooth Low Energy) de type patch thoracique collectant l’ensemble des signaux nécessaires à l’exécution d’une intelligence artificielle embarquée assurant la fonction de détection des crises,
- Un smartphone (ou une montre connectée) exécutant une application servant d’interface avec le patch et proposant des fonctionnalités plus « macro » (tenue d’un journal, signalement à des proches, stockage temporaire d’informations remontées par le patch, ...),
- Une plateforme cloud sécurisée permettant les analyses plus « long terme » des données ainsi que la génération de rapport à destination du médecin...
Cette approche peut être qualifiée de multimodale car les données de différents capteurs sont collectées et fusionnées pour alimenter l’étage d’intelligence artificielle. L’utilisation d’informations physiologiques (rythme cardiaque, mouvements) et contextuelles (données d’actimétrie, rythme circadien…) permettra une amélioration des performances de détection (réduction de faux positifs notamment) et un recoupement plus fins des résultats inter-patients, dans l’objectif d’affiner le paramétrage des algorithmes par « clusters » de personnes épileptiques (médecine personnalisée).
Un outil avec et pour les patients
L’objectif du projet est de déboucher sur une solution certifiable en tant que « dispositif médical », un point d’orgue étant mis sur la conception d’une intelligence artificielle sûre et explicable. Ce dernier point est crucial pour établir un lien de confiance entre le système et les équipes médicales.
Ce développement technologique se fera en parallèle et de façon interactive avec une étude d’acceptation/d’acceptabilité de cette nouvelle technologie. En effet, il est important voire primordial de comprendre les perceptions des nouvelles technologies par les personnes épileptiques et d’évaluer les déterminants qui composent l’acceptabilité de ces dernières. Cette évaluation permettra une meilleure acceptation des personnes épileptiques de l’utilisation de cet objet connecté développé dans le projet DetecTeppe et donc garant d’une bonne observance.
L’open science, mettre un écosystème au service des personnes épileptiques
L’approche dite open science est le prolongement naturel des valeurs d’ouverture et de partage portées par les partenaires du projet DetecTeppe. Elle se traduit par la mise à disposition de la communauté scientifique des travaux de recherche ainsi que des briques technologiques logicielles et matérielles développées au cours du projet. C’est un élément clé pour le développement d’un écosystème de confiance incluant personnes épileptiques et professionnels de santé. En effet, cette transparence permet aux médecins d’évaluer la conception, les performances et les limites d’un système et leur donne les moyens d’identifier les personnes épileptiques pour lesquels il sera le plus pertinent, prérequis indispensable pour que ces médecins l’intègrent dans leurs pratiques.
À terme, le patch ne sera entièrement efficace que s’il s’inscrit dans le parcours de santé de la personne épileptique de manière fluide. Pour cela, il doit s’intégrer dans un environnement plus large et communiquer avec différents outils (système d’information hospitalier, dossier médical partagé, …) et institutions. De nombreux médecins et experts comme Eric Topol, cardiologue américain spécialiste de la santé numérique, porteur du projet « Open Source Healthcare »14 pointent l’importance que doit jouer l’open source pour le développement de standards d’interopérabilité qui permettront de faciliter grandement la communication entre les acteurs.
Pour une santé numérique au service de l’humain
L’apport des nouvelles technologies et notamment l’AI/deep learning ouvrent de nouvelles perspectives dans le champ de la santé notamment dans un accompagnement personnalisé des personnes atteintes d’une pathologie chronique pouvant les mettre en situation de handicap. L’épilepsie pharmacorésistante en est un bon exemple avec une estimation de 150 000 à 200 000 personnes concernées en France, la situation de handicap physique mais aussi psychique qui en découle réduisant considérablement la qualité de vie des personnes atteintes. Le développement d’un outil performant permettant la détection de crises d’épilepsie permettra un meilleur suivi de ces personnes conduisant à une adaptation thérapeutique « chirurgicale » car personnalisée, une adaptation des activités au quotidien suivant le chronotype (i.e analyse des « hots spots » de survenu de crise sur 24 heures, sur une semaine, un mois) des crises d’épilepsie de ces personnes. Cela permettra également de développer un système d’alerte avec « l’apprentissage machine » des variations biométriques spécifiques de la crise surtout ceux avant-coureurs (i.e déterminer les paramètres pertinents pour une prédiction de crise, différent de paramètres d’anticipation).
Le choix fait par AURA et l’établissement de la Teppe est de développer un système de détection de crise utilisant au moins deux paramètres biométriques (l’analyse de la fréquence cardiaque et le mouvement) basé sur le deep learning et de l’évaluer en milieu écologique (suivant le principe du living lab). Ceci permettra d’analyser la robustesse du système en condition d’utilisation réelle. Tout se développement technique se fera en interaction étroite avec la personne épileptique (patient acteur) par analyse de l’acceptabilité/acceptation d’un tel système permettant d’évaluer l’amélioration de la qualité de vie des personnes épileptiques avec l’utilisation d’un tel système. Le projet poursuit actuellement sa phase de démarrage à savoir rédaction des protocoles de recherche et demande des autorisations et levée de fonds.
Le mode associatif et le partage du savoir faisant partie intégrale des fondamentaux d’AURA et de l’Établissement médial de la Teppe, le développement de ce projet se fait sans faux semblants dans le but final d’être une aide pertinente pour les personnes épileptiques sur le principe clé de la Teppe : « l’humain en tête ». Nous souhaitons que cet outil puisse être accessible à tous à prix raisonnable. Cet esprit collaboratif et la finalité du projet ont séduit les membres du jury du prix initiatives numériques et handicap organisé par le CCAH et Simplon qui ont élu lauréat en2020 le projet Detec Teppe.
Références
1 Fisher, R. S., et al. (2014). «ILAE official report: a practical clinical definition of epilepsy.» Epilepsia 55(4): 475-482.
2 Langfitt, J. T. (2007). «Do we know quality epilepsy care when we see it?» Neurology 69(21): 1968-1969.
3 Allers, K., et al. (2015). «The economic impact of epilepsy: a systematic review.» BMC Neurology(1).
4 Omay, O., et al. (2017). «La Teppe: The Epilepsy Center, Tain l’Hermitage, France.» Epilepsy & Behavior 76, Supplement: S9-S12.
5 https://github.com/Aura-healthcare/hrvanalysis
6 Epilepsy Foundation (2016). Epilepsy Innovation Institute - Community Survey, https://www.epilepsy.com/sites/core/files/atoms/files/community-survey-report-2016 V2.pdf
7 Prof Mark J Cook, MD Prof Terence J O’Brien, MD Prof Samuel F Berkovic, MD Michael Murphy, MD Andrew Morokoff, PhD Gavin Fabinyi, MBBS et al. (2013). Prediction of seizure likelihood with a long-term, implanted seizure advisory system in patients with drug-resistant epilepsy: a first-in-man study. The Lancet Neurology 12(6)
8 - 11 Sriram Ramgopal, Sigride Thome-Souza, Michele Jackson, Navah Ester Kadish, Iván Sánchez Fernández, Jacquelyn Klehm, William Bosl, Claus Reinsberger, Steven Schachter, Tobias Loddenkemper. (2014). Seizure detection, seizure prediction, and closed-loop warning systems in epilepsy. Epilepsy & Behavior 37 291–307
9 Thodoroff P, Pineau J, Lim A. (2016). Learning Robust Features using Deep Learning for Automatic Seizure Detection. In JMLR Workshop and Conference Proceedings, volume 56.
10 Isabell Kiral-Kornek, Subhrajit Roy, Ewan Nurse, Benjamin Mashford, Philippa Karoly, Thomas Carroll, Daniel Payne, Susmita Saha, Steven Baldassano, Terence O’Brien, David Grayden, Mark Cook, Dean Freestone, Stefan Harrer. (2017). Epileptic Seizure Prediction Using Big Data and Deep Learning: Toward a Mobile System, EBioMedicine, https://doi.org/10.1016/j.ebiom.2017.11.032
12 Eggleston, K. S., Olin, B. D., and Fisher, R. S. (2014). Ictal tachycardia: the head-heart connection. Seizure 23, 496–505. doi: 10.1016/j.seizure.2014.02.012
13 Jeppesen, J., Beniczky, S., Johansen, P., Sidenius, P., and Fuglsang-Frederiksen, A. (2015). Detection of epileptic seizures with a modified heart rate variability algorithm based on lorenz plot. Seizure 24, 1–7. doi: 10.1016/j.seizure.2014.11.004
14 https://opensourcehealthcare.org/
Dr Patrick LATOUR
Neurologue, épileptologue et responsable de l’Unité de recherche Clinique au sein de l’établissement médical de la Teppe.
Florian BRETON
Ingénieur en conception de systèmes embarqués au sein de la société Cedarnet. Il accompagne différents industriels dans la réalisation de projets complexes et innovants, mêlant intelligence embarquée et connectivité. Diplômé de Télécom Paris en 2012, il a cumulé plusieurs expériences professionnelles dans le développement de dispositifs médicaux avant de cofonder l’association Aura en 2017. Il y tient notamment le rôle de CTO bénévole.
www.teppe.org