Revue TELECOM 193 - L'agilité, un antidote pour les grands projets SI de l'Etat ?
L'AGILITE, UN ANTIDOTE POUR LES GRANDS PROJETS SI DE L'ETAT ?
Par Magued Abdel-Maaboud dans la revue TELECOM n° 193
Les méthodes agiles se diffusent désormais largement au sein de l’administration. Mais peut-on affirmer qu’elles ont déjà contribué significativement à la sécurisation des grands projets SI de l’État ?
Lors de la conception des projets, les premiers bénéfices sont tangibles
Le panorama des grands projets SI de l’État1 recense une cinquantaine de projets d’un coût supérieur à 9 M€ et d’une durée moyenne de 6,3 ans. Historiquement ce portefeuille de projets était constitué de projets pensés avec des phases de conception longues, menés selon une méthodologie de cycle en V.
La diffusion des méthodes agiles dans l’administration est venue faire évoluer ce panorama. Ainsi, s’il s’agit toujours de grands projets, relativement longs du fait de leur envergure nationale, ils sont désormais conçus de telle manière que le déploiement de premières fonctionnalités arrive plus tôt dans la vie de ces projets. Leur logique de conception reflète désormais une volonté d’enrichissement progressive des solutions, ce qui peut être attribué à la progression de la culture agile. Cette logique est d’ailleurs favorable à une prise en compte plus fluide des interconnexions avec les autres projets SI, qui sont systématiques pour ces projets nationaux, et qui engendrait souvent des délais pour les projets menés en cycle en V.
Par ailleurs, des initiatives comme celles des start-up d’État2, des incubateurs ministériels de services numériques, permettent de proposer des réponses numériques différentes de celles proposées au travers de projets longs, complexes et couteux. Manifestement, la diffusion d’une culture agile au sein de l’État, conduit progressivement à éliminer des facteurs structurels de dérives qui étaient traditionnellement embarqués dans la conception même des projets.
La conduite des projets selon des méthodes agiles se généralise.
Mais les bénéfices attendus ne sont pas toujours au rendez-vous, souvent pour des raisons liées au contexte de la sphère publique
Tout d’abord, il peut y avoir une tendance à voir dans les méthodes agiles, une réponse miracle et systématique aux difficultés que rencontrent les grands projets de l’État à atteindre leurs objectifs. À la DINSIC, nous restons attentifs au fait que le recours à des méthodes agiles n’occulte pas la nécessité pour les acteurs métiers d’effectuer un véritable travail de simplification de leurs processus, par exemple en s’appuyant sur des outils de Lean management. Nous considérons également que le recours aux méthodes agiles ne doit pas être un alibi pour systématiser le choix de construire des logiciels spécifiques lorsque des solutions de marché existent.
Comme évoqué précédemment, la culture de construction itérative des solutions progresse, mais ces itérations sont rarement mises en service et utilisées par leurs usagers. De fait, cela ne permet pas de bénéficier d’un des principes fondamentaux de l’agile qui est de rationnaliser et actualiser les backlogs en tenant compte des usages développés par les utilisateurs des premiers services déployés. En particulier lorsqu’il s’agit de la refonte d’un service existant, notamment régalien, la perception des usagers que l’État faillirait à sa continuité de service en ne déployant qu’une partie des fonctionnalités d’un service numérique conduit souvent à viser le déploiement d’un service complet, pour tous, mais… beaucoup plus tard. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un nouveau service numérique, les usagers sont davantage enclins à accepter une mise à disposition progressive de celui-ci. L’expérience des incubateurs met d’ailleurs en évidence qu’il ne faut pas s’interdire de lancer un service refondu, en version Beta, alors qu’il perdure temporairement sur une application historique.
La volonté de placer l’usager au centre de la conception des solutions est désormais revendiquée par la majorité des projets. Dans les faits, si des mécanismes d’écoute usagers innovants sont mis en œuvre, ils se heurtent souvent au manque de compétences spécifiques au sein de l’État (compétence Designer notamment) pour en tirer tous les bénéfices. Il existe aussi parfois des difficultés à prendre en compte ce que les usagers expriment lorsque des contraintes réglementaires s’y opposent ou quand cela ne va pas dans le sens des objectifs du projet. Par exemple, souvent les bénéficiaires ciblés par un service numérique soulignent leur souhait de continuer à avoir des interactions directes avec des agents dans le cadre de leurs démarches, tandis que le projet cherche à recentrer ces interactions sur des cas complexes ou spécifiques.
La conduite de projet en agile continue à se heurter à des rigidités d’organisation liées au fonctionnement des grandes structures telles que l’État et qui ont un besoin fort de prévisibilité. Ainsi, les logiques budgétaires traditionnelles, les exigences contractuelles liées à la commande publique, les organigrammes MOA/MOE etc. conduisent à une mise en œuvre souvent non aboutie des méthodes agiles et donc à l’obtention de bénéfices partiels.
Enfin, l’appropriation de ces méthodologies et leur mise en œuvre dans le contexte de grands projets représente parfois une marche à franchir qui est encore souvent sous-estimée ou mal comprise. Ainsi, des projets ont pu s’engager dans le respect d’un framework agile à l’échelle alors que moins de 10% des participants au projet maîtrisaient la méthodologie, que les équipes de développement opéraient offshore, ce qui a conduit à des pertes de repères importants à l’échelle de grands projets.
En synthèse, l’emphase forte qui est mise sur l’application des méthodes agiles dans les grands projets SI de l’État est bienvenue et délivre déjà des bénéfices, en particulier en permettant l’éclosion de projets moins volumineux, qui délivrent de la valeur plus rapidement et de façon itérative. Pour en délivrer davantage, il convient de continuer à améliorer la maîtrise de facteurs plus classiques de réussite des projets informatiques : mener une réflexion profonde et sans tabou sur la simplification des processus métiers, ne pas viser l’informatisation de la totalité des problématiques fonctionnelles, s’assurer qu’un agent peut toujours reprendre la main sur le système pour débloquer une situation particulière, maîtriser des aspects techniques clés des projets (intégration et sécurité SI notamment) et responsabiliser fortement les acteurs étatiques en charge du pilotage des projets.
1/ https://www.numerique.gouv.fr/publications/panorama-grands-projets-si/
2/ https://beta.gouv.fr/startups/
Une start-up d’État est un service public sans personnalité juridique propre, constituée d’une petite équipe totalement autonome.
Elle est financée par une administration porteuse qui lui garantit un espace de liberté pour innover.
Elle naît de l’identification d’un problème rencontré par les citoyens comme par les agents publics, qu’elle se donne pour objectif de résoudre grâce à un service numérique.
Biographie de l'auteur
Magued Abdel Maaboud est chargé de mission à la DINSIC au sein de l’équipe Conseil et Maîtrise des risques. Cette équipe mène des actions de conseil en amont auprès des directions de projet SI, instruit les demandes d’avis conforme nécessaires au lancement des grands projets SI de l’État et réalise des missions de sécurisation auprès des projets en difficulté. Il a débuté sa carrière en travaillant sur des projets SI au sein de la société Unilog puis a rejoint Deloitte où il a conduit et dirigé de nombreuses missions de conseil au sein de l’équipe secteur public de Deloitte et Deloitte Digital.
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