Revue TELECOM 187 - Les actualités de l'association Compte-rendu du Télécom ParisTalks "La Blockchain dans la vraie vie, du développement aux prochaines réalisations"
COMPTE-RENDU DU
TELECOM PARISTALKS
« La Blockchain dans la
vraie vie, du développement
aux prochaines réalisations »
Par Philippe Laurier dans la revue TELECOM n° 187
Grégoire Galievsky, Senior Manager secteur Banque. Introduction / état de l'art Orange Consulting.
François Stephan, Directeur général adjoint en charge du développement et de l’international IRT SystemX Modérateur.
Nadia Filali, Directrice du programme Blockchain Groupe Caisse des Dépôts.
Gilles Deleuze, Responsable du programme de recherche Blockchain EDF Lab.
Jacques Baudron, Fondateur iXTEL
Clément Bergé-Lefranc, Directeur général Ledgys. Société de l'incubateur ParisTech Entrepreneurs.
Pierre Paperon, Co-fondateur Solid.
Patrick Waelbroeck, Professeur d'économie industrielle et d'économétrie Télécom ParisTech.
L’irruption des technologies blockchains mène à vouloir identifier les métiers bientôt impactés par elles, ou plus exactement les multiples métiers qui à cette occasion redécouvrent être basés sur une ou des fonctions génériques telles que :
• La certification ;
• La confiance (Autrement qu’assurée par les habituels tiers et acteurs de confiance. Il a été rappelé cependant que ces tiers de confiance ne sont en fait souvent pas supprimés mais déplacés. L’éventualité demeure, d’un besoin irréductible et du maintien minimal d’un tiers de confiance) éventuellement associée à la transparence ;
• La mise en relation (Où il faudra faire la part entre intermédiation, désintermédiation, réintermédiation) ;
• La traçabilité et son fréquent corolaire qu’est l’imputabilité (tracer, mémoriser, vérifier, attribuer) ;
• Eventuellement la fourniture de confidentialité, d’anonymat, d’intimité (la notion d’intimité financière pour chaque individu est mentionnée, dont il importera au cas par cas de savoir si elle sera opérante ou contradictoire avec cette technologie).
• Patrick Waelbroeck signale que ces technologies sont susceptibles d’apporter des réponses au double besoin décentralisation + sécurisation ; la fourniture de sécurité s’ajoutant ici aux précédentes fonctions génériques recensées.
(Deux logiques temporelles coexistent à travers plusieurs de ces fonctions : l’une qui utilise la conservation illimitée d’une mémoire par les chaînes de blocs, l’autre qui s’intéresse au temps réel, avec des évènements quasi-instantanément actés).
La table ronde avec de de g. à d. François Stephan, Patrick Waelbroeck, Jacques Baudron, Pierre Paperon, Clément Bergé-Lefranc, Nadia Filali, Gilles Deleuze, Grégoire Galievsky
L’ampleur de ces fonctions génériques se mesure au fait que peu de métiers, surtout du tertiaire ou dans les relations logistiques inter-entreprises, n’en sont pas soit prestataires soit utilisateurs. Fonctions qui recroisent des quoi (certifier quoi ? …) ou des qui, (mettre qui en relation ? …), lesquels englobent la gestion des identités –il est cité la construction de systèmes d’identité(s)-, la gestion des contrats, la gestion des échanges (Avec la notion de place de marché), etc.
(Deux autres logiques ou deux discours coexistent : la notion de place de marché renvoie à un centre, inverse à celle de décentralisation. Pierre Paperon propose une autre lecture, d’horizontalisation des relations entre acteurs, venant se substituer à des modes d’organisation plus verticalisés ou pyramidaux).
Ce champ des possibles extrêmement large amène les principaux acteurs à adopter des stratégies diversifiées :
• soit tels qu’EDF, Orange et la Caisse des Dépôts, en adoptant une stratégie multi-projets parallèles, souvent en partenariats avec des structures externes, pour jauger les divers créneaux explorables. Avec dès lors une démarche de développement de preuves de concept, de mise en test, pour combinaison avec les comportements des usagers, d’analyse de risque (Analyse en réalité permanente puisqu’une configuration technique rapportée à un contexte ou un environnement donné, subira avec le temps une évolution capable de remettre en cause son innocuité ou sa sécurité à t + 1).
• Soit comme pour Ledgys, de focalisation sur une fonction unique mais jugée essentielle et en soi porteuse d’un marché suffisant et identifié, tel que la traçabilité d’un objet passant entre les mains de plusieurs entreprises, où la chaîne de blocs atteste de chaque passation d’une main à une autre ; et transfère ce faisant la responsabilité juridique de sa bonne garde à l’entreprise susceptible alors de le perdre ou le détériorer (Plateforme de transfert de responsabilité au sein de la chaîne logistique). Cette fourniture de preuve se retrouvant dans d’autres cas sur la facette temporelle, avec l’horodatage d’un transfert ou d’un contrat.
Toutefois, les incertitudes qui s’attachent encore à cette technologie n’ayant pas atteint sa phase de maturité, obligent à mieux cerner les freins ou verrous en présence ainsi que la valeur ajoutée apportable au client (N’y a-t-il pas surestimation de l’avantage apporté, par rapport à d’autres solutions et d’autres architectures ?). Incertitudes que François Stephan (1991) souligne comme incitant d’autant plus à cette précédente démarche de partenariats et de collaboration entre acteurs. L’ensemble laisse encore hésiter entre une vision d’avenir faite d’une « blockchainisation du monde » ou de cantonnement sur quelques fonctions clés où l’avantage compétititif constatable sera manifeste : y a-t-il besoin de blockchains pour tout ? De fait, les actuelles voies développées avec des chaînes de blocs se contentent encore de répliquer, par tâtonnement, les usages existants, mais n’ont pas pour l’heure enclenché des ruptures majeures dans les usages -hors cryptomonnaies-, ni l’invention de nouvelles fonctions génériques. D’ailleurs, comme le note Jacques Baudron, peut-on regarder cette technologie d’abord comme un retour aux sources, vers une redécouverte de ces fonctions génériques, comme autant de fondamentaux à retrouver (usages et fonctions de base).
Il appartiendra à cette technologie prometteuse mais encore à l’étape de la R&D et des premières applications pilotes, de démontrer sa capacité de passage à l’échelle, en termes de volume et de vitesse de traitement (quoique ce dernier point fasse débat). Comprendre aussi si les informations ainsi délivrées auront une valeur probatoire suffisante aux yeux des parties concernées.
Le débat s’est en partie intéressé aux normes et standards, entre observateurs favorables ou non à l’intégration de ces technologies dans des processus de normalisation. Processus perçus soit comme accélérateurs d’une généralisation de ces solutions, soit comme une bride à l’innovation. Avec ou sans norme, le consensus se fait néanmoins sur le besoin de coopérer entre acteurs, depuis la recherche jusqu’aux entreprises qui mettront sur le marché les produits finaux correspondants.
Au final, un constat ressort à la fois du besoin de soutenir les initiatives en cours, dans un écosystème français où les moyens octroyés sont inférieurs souvent à ceux offerts à la concurrence notamment dans les pays anglo-saxons. Mais pays qui, peut-être parfois handicapés par un sentiment de NIH, Pas inventé ici, n’ont pas à ce jour pris un avantage irréversible. La France, par son vivier de compétences dans cette discipline qui touche aux mathématiques et aux sciences de l’ingénieur, reste capable de déployer des solutions ad hoc, correspondant sur le terrain à des besoins éprouvés, validés. Et d’apporter à cette occasion un mieux en matière de sécurité, que ne fournissent plus guère beaucoup d’actuels outils TIC dominants mais fragiles.