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15 décembre 2017

Revue TELECOM 187 - Usages de la blockchain dans le domaine de l'énergie

Publié par Tesnim Abdellatif, Gilles Deleuze et François Stephan (1991) | N° 187 - Energies, les ruptures - L'intelligence artificielle

USAGES DE LA BLOCKCHAIN DANS LE DOMAINE DE L'ENERGIE 

actions de R&D partenariale EDF Lab - SystemX.

 

Par Tesnim Abdellatif, Gilles Deleuze et François Stephan (1991) dans la revue TELECOM N° 187

 

La blockchain, combinaison astucieuse de techniques parfois connues et éprouvées depuis longtemps, parfois innovantes, émerge dans un contexte sociétal favorable. Nous présentons dans cet article le contexte et le contenu des actions de R&D qu’ EDF Lab et l’IRT SystemX ont décidé de mener en commun sur les usages de la technologie blockchain dans le domaine de l’énergie et leurs faisabilités technique, économique et juridique, afin d’estimer dans quelle mesure et à quelle date les défis associés pourront être résolus.

 

Contexte : La blockchain pour l'Énergie

Les cas d’usage de la blockchain dans l’énergie présentent des exigences de disponibilité et de sécurité importantes, avec les risques spécifiques d’un couplage étroit entre énergie et numérique. Les questions de temporalité et de validité des mesures physiques y sont plus complexes que pour des transactions financières ou des chaînes logistiques, domaines d’application de la blockchain actuellement les plus avancés. Il s’agit ainsi, dans le cas de l’énergie, d’éviter que le déploiement hâtif et mal maîtrisé d’une technologie prometteuse et évolutive ne crée des expériences négatives, potentiellement bloquantes pour son développement futur.                                                                                                                                                                   

                                                                                      EDF EN

 

De premières idées fondées sur le Bitcoin ont émergé, dès 2011. L’usage le plus direct est le paiement de l’électricité en Bitcoin par des compteurs numériques (Bankymoon et Eskom, Afrique du Sud). L’autre usage porte sur la création de monnaies numériques dédiées à un mode de production d’énergie pour en favoriser le développement, selon une démarche inspirée du financement participatif (Solarcoin).

En 2016, Ethereum est devenue la technologie blockchain la plus employée dans le domaine de l’énergie. Elle apporte les outils nécessaires à la mise en œuvre des contrats auto-exécutables (Smart Contracts). Dans la plupart des projets en cours, Ethereum est employée pour la mise en œuvre des expérimentations. [DENA, 2016]

 

 

 

Un concept d’autoconsommation collective (TECSOL)

 

Début 2016, on dénombrait moins d’une dizaine de start-up blockchain dédiées au domaine de l’énergie [EWF, 2016]. Les premières annonces d’expérimentations avec des contrats auto-exécutables remontent à février 2016, alors que la blockchain Ethereum n’a pas six mois d’existence. Il s’agit en particulier d’une expérience d’échange d’énergie solaire entre quelques maisons à Brooklyn aux États-Unis (LO3 Energy Brooklyn et Microgrid concept) et d’une proposition de technologie de paiement de charge de véhicules électriques en Allemagne (RWE et Slock.it ; système de transaction BlockCharge sur base Ethereum). À partir d’avril 2016, les hackathons et concours d’innovation se succèdent1.

Le sujet est relayé par des leaders d’opinion intéressés par le développement de l’énergie photovoltaïque (PV2). Il apparaît rapidement dans les discours des acteurs politiques locaux et nationaux en France.

Plusieurs communautés locales expriment leur intérêt pour des solutions décentralisées en termes de production et de management d’énergie, ce qui stimule les premières expérimentations (projet Confluence à Lyon, avec Bouygues, projet Sungie d’Engie). En novembre 2016, on dénombrait en Europe environ 20 à 30 start-up spécialisées dans l’usage de la blockchain dans l’énergie [Fortum, 2016], [EWF, 2016].

Début 2017, la société TECSOL lance le projet le plus ambitieux à ce jour en France à Perpignan, qui combine logement social, tertiaire, autoconsommation et mobilité électrique, avec le support de la blockchain.

Ces initiatives permettront de tester la fonctionnalité, in situ, de la technologie et pourraient, ensuite, attirer une quantité suffisante d'utilisateurs pour atteindre rapidement une masse critique [DENA, 2016].

Sur le plan économique, la technologie décentralisée blockchain, a priori peu gourmande en capitaux et fondée sur des codes open source, ouvre à de nouveaux entrants le domaine de l’énergie, longtemps fermé à cause de sa technicité et de son intensité capitalistique, en offrant des opportunités de nouveaux modèles économiques.

La technologie blockchain pourrait aussi répondre à une demande croissante de transparence, de visibilité. Les consommateurs peuvent espérer accéder facilement à des informations pertinentes et fiables qui leur permettent de prendre des décisions en matière de choix de fournisseurs, de tarification, de gestion de leur consommation.

 

Le choix d’EDF Lab de travailler avec l’IRT SystemX

Fin 2016, moins d’un an après son installation sur son nouveau Campus de Paris-Saclay, EDF Lab a décidé, pour une partie de ses activités de recherche sur la blockchain, de faire appel à l’IRT SystemX (Institut de Recherche Technologique), acteur nouveau de la recherche et de l’innovation ouverte en France, positionné sur l'ingénierie numérique des systèmes du futur. C’est ainsi qu’EDF fait partie de la dizaine de partenaires du projet de recherche technologique sur la blockchain de SystemX, le projet BST (Blockchain for Smart Transactions) : grands groupes, PME, start-up, et organismes de recherche académique, dont Télécom ParisTech.

Le projet de recherche BST de SystemX s’est donné un double objectif :

• Identifier et modéliser des cas d’usages innovants s’appuyant sur des architectures de registre distribué de type blockchain,

• Définir les conditions techniques, juridiques, économiques et sociales permettant le déploiement de services s’appuyant sur la blockchain, et lever les verrous technologiques, socio-économico-juridiques et scientifiques associés.

En support des activités du projet, l’IRT SystemX développe une plateforme de recherche expérimentale d’aide à la conception conforme de services innovants s'appuyant sur la technologie blockchain afin d’apporter une compréhension fine de ces nouveaux services grâce à la simulation, l’analyse et la visualisation des données : la plateforme BEST (Blockchain Environment for Smart Transactions).

Au printemps 2017, l’IRT SystemX a ouvert son programme « START@SystemX » en direction des start-up œuvrant au développement de la blockchain en France. Les start-up ayant été sélectionnées se voient offrir l’opportunité de valoriser le potentiel de la blockchain en collaborant avec les acteurs industriels et académiques du projet de recherche de l’IRT SystemX, au travers de sa plateforme expérimentale.

 

Le “PoC” Energy Market Place

Le PoC développé dans le projet BST a pour finalité le développement d’une plateforme de simulation et d’optimisation afin d’évaluer la faisabilité technique de la blockchain dans un contexte d’autoconsommation, sans préjuger des domaines d’affaires qui pourront être bâtis sur cette base. Un effort important est apporté à la simulation d’un système à base de blockchain, à son dimensionnement et à l’étude de sa disponibilité en situations dégradées.

 

Ce développement se fait en lien avec un écosystème en cours de construction pour exploiter complètement le potentiel offert par la plateforme d’expérimentation.

L’objectif choisi pour commencer suit le schéma devenu classique consistant à supporter des échanges d’énergie entre auto-consommateurs. C’est une base qui aura vocation à s’ouvrir à d’autres usagers et services, en particulier la mobilité, le suivi de l’origine de l’énergie, l’économie verte. Il s’agit aussi d’identifier comment les services d’Oracle3 peuvent se mettre en place pour assurer la continuité de la chaîne de confiance de la couche physique à la blockchain.

 

 

 

Vue d'ensemble des acteurs interagissant avec la place de marché

 

Les travaux menés à EDF, et hors d’EDF, montrent qu’on peut faire tourner des prototypes de blockchain sur des systèmes de transactions réduits, ou des éléments de système. La question qui se pose maintenant est le passage à l’échelle (par exemple de 4 à 50, 500, 10 000 points de consommation) et la preuve de disponibilité, d’une sécurité et d’une performance économique au moins aussi bonne que d’autres solutions. Il reste aussi à inventer les formes de gouvernance d’un système technique entièrement nouveau. Tout reste à faire et les possibilités d’innovation sont nombreuses.

 

Concept, architecture générale, performances attendues

Dans ce cadre de recherche et d’expérimentation, la blockchain supporte les échanges locaux d'énergie entre prosumers (consommateurs-producteurs) dans le contexte réglementaire français (« autoconsommation collective »). L’apport de la blockchain est alors le suivant :

• Comptage à faible coût de l'énergie consommée et de l'énergie photovoltaïque produite dans un réseau local.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

                                                                 Fonctions de la place de marché

 

• Traçabilité de l'historique des transactions physiques et financières, y compris l’origine de l’électricité “achetée” localement.

• Sécurisation des contrats qui sous-tendent les règles de répartition de l'énergie entre les clients.

• Répartition des avantages et des dépenses chez les prosumers.

• Résilience du système et une adaptation à l'évolution de la population.

• Facilitation de nouveaux services.

La figure ci-contre présente de façon simplifiée l’architecture de l’Energy Marketplace et ses principales fonctionnalités. La capacité de “tokenisation” de la blockchain est exploitée par un système de double comptabilité de l’énergie, en termes économiques et environnementaux.

Des cibles ont été définies pour comparer les solutions techniques, et leur pertinence selon les usages envisagés :

• Nombre de transactions traitées par seconde. Cette cible est fonction de la périodicité de récupération des données au niveau compteur entre 10s et 10mn, et de la taille de la communauté pour l’instant de 2 à 200 usagers.

• Consommation d'énergie : en moyenne annuelle, pas plus de 0,1 % à 1 % du surplus d'énergie d'un autoconsommateur particulier.

• Disponibilité au même niveau qu’une solution centralisée.

• Expérience utilisateur simple et sûre, avec des applications sur PC ou smartphones.

 

Etat d’avancement, jalons et suites

Les partenaires actuels de cette expérimentation sont Evolution Energie (start-up), La Poste, et Atos Bull. En mars 2018, les fonctions de base de la place de marché seront en place. Les étapes suivantes consisteront à évaluer et comparer des applications, services et choix technologiques. 

 

Remerciements

Les auteurs remercient Stéphane Tanguy, Nadège Vignol, Ange Caruso (programme TI EDF R&D) pour leur support au projet DURIN et au partenariat EDF Lab-SystemX, et à l’équipe commune en charge du projet Marketplace EDF Lab-SystemX : Tesnim Abdellatif (EDF R&D), l’ensemble des partenaires industriels et académiques du projet BST (La Poste, PSA Group, ATOS Bull, Covea, Ercom, SQLI, H-Log, IDIT, Université de Versailles Saint-Quentin, Inria, Telecom ParisTech) et les start-up sélectionnées par le programme START@SysteMX (Evolution Energie, KeeeX, Pack’nDrive).

 

Références

[Systematic, 2017]. White Paper. Blockchain: Myth or Reality ? Livre Blanc Systematic, 2017. Publication director : Jean-Pierre Tual. http://systematic-paris-region.org/fr/actualites/telechargez-le-livre-blanc-blockchain. Accessed June 2017.

[DENA, 2016] Blockchain in the energy transition. A survey among decision-makers in the German energy industry. DENA German Energy Agency, November 2016.

[EWF, 2016] The Energy Web Foundation. EWF Information Day. December 1st, 2016, San Francisco, CA.

[EWF, 2017] The Energy Web Foundation - Overview Presentation. EWF Information Day. January 10 th , 2017, Frankfurt, Germany.

[Horta et al., 2016] Novel paradigms for advanced distribution grid energy management. José Horta, Daniel Kofman, David Menga. février 2016. Département Informatique et Réseaux. Groupe RMS: Réseaux, Mobilité et Services, Télécom ParisTech.

[Kastelein, 2016]. Solarcoin – Combining Sustainability and the Blockchain [Online]. Blockchain News. 5 mars 2016. http://www.the-blockchain.com/2016/03/05/solarcoin-combining-sustainability-and-the-blockchain/ [Accessed 18 Dec 2016].

[Swan, 2015] Blockchain: Blueprint for a New Economy, O'Reilly Media.

[SystemX, 2017] Blockchain for Smart Transaction (BST), Deliverable L5.1 - Survey on Blockchain Technologies, Applications, Regulations and Challenges. March 30, 2017.

 

1/ Par exemple, “GTEC Blockchain Innovation Award”, “challenge for the application of blockchain solutions for Energy trading for the power and energy sectors”, etc.
 2/ Par exemple, André Joffre, Tecsol                                                                                                                                        3/ service chargé d'entrer une donnée extérieure dans la blockchain

 

 

Biographie des auteurs

 

Gilles Deleuze est Chef de projet Blockchain et Chercheur senior à EDF Lab, sur deux domaines : l’analyse des risques de projets et technologies et la sûreté de fonctionnement des systèmes numériques. Ingénieur diplômé de l’ENSTA (École Nationale Supérieure de Techniques Avancées), il détient un DESS en Gestion de l’Innovation (Université Paris IX Dauphine-INSTN).

 

 

Tesnim Abdellatif est Chercheur à EDF Lab, sur le management du risque. Docteur-Ingénieur en informatique de l’Institut National Polytechnique de Grenoble, elle détient un Master d’Ingénierie de Systèmes Distribués de l’ENSIMAG.

 

 

 

 

François Stephan (1991) est Directeur Général Adjoint en charge du Développement et de l’International de l’Institut de Recherche Technologique SystemX, dédié à l’ingénierie numérique des systèmes du futur.

Ingénieur diplômé de l’Ecole polytechnique et de Télécom ParisTech, il a plus de 25 ans d’expérience professionnelle dans les technologies de l’information.

 @FrancoisStephan

 

Auteurs

Tesnim Abdellatif, Gilles Deleuze
François Stephan (1991)

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