Réseau Public de Gaz : COMMENT UN « VIEUX RÉSEAU » DEVIENT UN ATOUT POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DANS LES TERRITOIRES ?
Le gaz naturel est handicapé dans un contexte de transition énergétique ; c’est une énergie émettrice de CO2 d’origine fossile. Mais il a un avantage, il est stockable. Le handicap peut disparaître avec l’introduction de gaz renouvelable dans les réseaux. Une étude de l’ADEME montre que l’objectif de 100 % de gaz renouvelable n’est pas une utopie et pourrait être atteint en 2050[1].
Un challenge pour le gaz : passer du statut d’énergie fossile à énergie renouvelable
Depuis une décennie, le gaz acheminé dans les réseaux de distribution n’est plus seulement fossile ; une part de gaz « vert » vient s’y ajouter[2]. La production de gaz renouvelable a trois sources : la méthanisation des déchets organiques et surtout de la biomasse, la méthanation, et la pyrogazéification des déchets solides. Produit par méthanisation, le biogaz a de multiples avantages. Il est écologiquement vertueux avec des émissions de CO2 nettes dix fois inférieures à celle du gaz naturel fossile[3] ; il produit des revenus complémentaires à l’agriculture et préserve la balance commerciale de la France en remplacement des importations. Mis à part l’électricité d’origine hydraulique, le gaz est actuellement la seule énergie renouvelable facilement stockable. Ainsi se produira un effet de balance : plus le handicap (émission de CO2 fossile) s’atténuera et plus l’avantage (stockage d’énergie renouvelable) s’affirmera[4].
L’enjeu du biogaz : l’intégrer au réseau
Comme pour l’électricité, il s’agit d’accueillir des productions décentralisées dans un réseau conçu pour fournir du gaz, et non pour le collecter. Mais contrairement à l’électricité renouvelable qui est essentiellement intermittente, le biogaz présente la caractéristique inverse : une production relativement constante face à une consommation (chauffage) saisonnière. Les méthaniseurs doivent se situer près des sources de biomasse (STEP et entreprises agricoles), donc essentiellement en territoire rural, et donc souvent éloignées des zones de forte consommation. Le gaz produit peut avoir trois usages : injection dans le réseau de gaz, production de chaleur et production d’électricité (cogénération et cycles combinés à gaz). La solution la plus efficiente est l’injection dans le réseau public de distribution quand il est proche.
Mais elle se heurte alors à deux difficultés :
- La première est le coût de la canalisation de raccordement à un point d’injection, qui ne peut être éloigné que d’une dizaine de km. Ce coût est à la charge du porteur de projet qui peut généralement bénéficier d’aides publiques.
- La deuxième est la nécessité, même quand il y a un point d’injection économiquement atteignable, qu’il y ait un potentiel de consommation dans la période d’étiage. Si ce n’est pas le cas, on peut avoir recours au maillage entre deux zones de consommation proches. Si ce n’est pas suffisant, le gaz peut être injecté dans le réseau de transport de GRTgaz ou de TEREGA par un rebours (poste de surpression). L’ensemble technique capacité de méthanisation plus zone(s) de consommation atteignable(s) plus renforcements possibles (maillages et/ou rebours) constitue un zonage technico-économique au niveau duquel l’équilibre économique doit être apprécié[5]. Le critère est le montant des investissements (I) rapporté au volume de gaz à injecter (V). Les exploitants des réseaux de distribution doivent assurer les renforcements lorsque I/V est <= 4700 €/Nm3h, le financement étant assuré par le tarif de distribution payé par tous les consommateurs. Au-delà, se pose la question d’un complément de financement, notamment par les collectivités locales. Lorsqu’il est fait appel à la technique du rebours, son coût (environ 2 M€) entraînera généralement un dépassement important du plafond I/V. Compte tenu des enjeux de la méthanisation (gaz propre, revenus pour l’agriculture, diminution des importations), une réflexion est nécessaire pour que l’équilibre économique soit apprécié plus globalement qu’à l’aune d’un zonage restreint.
La méthanation, ou comment stocker l’électricité dans un réseau de gaz
La production d’électricité renouvelable est confrontée à l’intermittence de la production décentralisée, qui ne peut répondre à des ordres stop and go. Ceci appelle des solutions innovantes pour différer la consommation par rapport à la production, en la stockant sous une forme ou sous une autre. La méthanation permet de stocker l’électricité sous forme de gaz. Connu sous l’appellation power to gas, ce processus consiste à produire du méthane par électrolyse avec l’électricité fatale non utilisée au moment où elle est produite, et ceci en combinant du CO2 à l’hydrogène produit. Le gaz généré est injecté dans le réseau gazier pour une consommation immédiate ou différée. C’est ainsi un stockage de l’électricité qui mobilise les réseaux de gaz. Power to gas établit un lien entre l’électricité et le gaz.
Les autorités concédantes et les territoires acteurs de la transition énergétique
Les opérateurs du réseau de distribution de gaz (GRDF, SEM, etc.) exploitent les réseaux de distribution par délégation de service public accordée par les autorités concédantes (syndicats départementaux et métropoles). Aux côtés des collectivités locales, ces entités ont un rôle direct à jouer dans l’évolution des réseaux. Elles peuvent consacrer des moyens financiers aux études nécessaires pour permettre l’injection du biométhane. Elles peuvent aussi mobiliser des acteurs pour rendre économiquement viables les projets locaux en participant aux tours de table financiers d’abaissement du I/V, voire en les organisant. Compte tenu des avantages de la méthanisation, et du défi que représente cette révolution, l’approche économique ne peut être uniquement faite dans un périmètre restreint et la région paraît être la bonne taille. C’est l’action conjointe des autorités publiques concédantes, des collectivités et des concessionnaires qui permettra que des réseaux conçus au siècle dernier soient à la pointe de l’évolution écologique au XXIe siècle, dans un écosystème multi-énergies réinventé pour répondre au défi majeur de réchauffement de la planète.
Références
[1] Mix de gaz 100 % renouvelable en 2050, évaluation datant de janvier 2018.
[2] Au 8 mars 2021, 226 sites injectent du gaz vert pour une production de 4 096 GWh/an, soit l’énergie permettant de faire rouler 16 000 bus.
[3] Évaluation des impacts GES dans la production et l’injection du biométhane dans le réseau de gaz naturel, Quantis, 2020.
[4] En Europe, 21 sites souterrains permettent de stocker 136 TWh (source ENGIE : https://www.engie.com/activites/infrastructures/stockage).
[5] Délibération N°2019-242 de la Commission de régulation de l’énergie du 14 novembre 2019 portant décision sur les mécanismes encadrant l’insertion du biométhane dans les réseaux de gaz.
GLOSSAIRE
GRTgaz : filiale d’ENGIE, en charge du réseau de transport de gaz
GRDF : filiale d’Engie (ex GDF-Suez) en charge du réseau de distribution de gaz
SEM : société d’économie mixte, à capitaux publics et privés
ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
STEP : station d’épuration des eaux usées
TEREGA : réseau de transport de la région grand Sud-Ouest de la France (construit initialement pour répartir le gaz de Lacq)
À retenir
Grâce à la production de gaz renouvelable, les réseaux de gaz, conçus au départ pour acheminer une énergie fossile, deviennent un atout dans la transition énergétique par l’intégration du gaz vert, mais aussi pour leurs capacités de stockage qui peuvent permettre de stocker l’électricité après méthanation. Véritable révolution, la production décentralisée de gaz est un enjeu pour les territoires.
Daniel CHARBONNEL
ancien cadre chez Orange, est formateur pour les élus locaux. Il a été lui-même élu pendant vingt-cinq ans :. maire de Le Versoud (38), vice-président de Communauté de communes, vice-président de Territoires d’Energie 38, le syndicat départemental des énergies. C’est dans cette fonction qu’il a abordé la question de l’impact de la transition énergétique sur les réseaux d’électricité et de gaz.