VERS DES DATA CENTERS NEUTRES EN CARBONE EN 2030 EN EUROPE ?
L’expansion massive des data centers requiert une attention particulière dans le débat sur l’empreinte énergétique et environnementale des TIC. Certes, leur consommation est restée plutôt stable durant la décennie 2010 (2 % de la demande d’électricité mondiale selon l’Agence Internationale de l’Énergie[1]), notamment en raison du déploiement de centres géants, dits « hyperscale », occupant des milliers de m2 et d’une puissance de dizaines de MW. Ces data centers offrent des gains d’efficacité en permettant la transition vers des services basés sur le cloud, réduisant le recours aux équipements « sur site » généralement moins efficaces : les data centers les plus performants affichent une P.U.E.[2] de 1.1, contre 1.5 à 2.0 pour des centres plus petits ou plus anciens.
Mais la capacité à contenir la progression de la consommation d’électricité durant la décennie 2020 est plus incertaine, notamment parce que la crise sanitaire a accéléré les pratiques socio-économiques « à distance » (télétravail, télé-enseignement, télémédecine, etc.) et parce que les nouveaux cycles d’investissement modifieront la nature et la localisation des data centers (notamment avec la 5G et le edge computing). Pour mesurer les incertitudes, il est utile d’observer que la Commission Européenne envisage, pour 2030, des consommations comprises entre 50 et 160 TWh/an pour les data centers localisés dans l’UE[3].
De plus, l’essentiel se joue au niveau local, la concentration des data centers mettant en forte tension certains systèmes électriques et induisant des investissements supplémentaires en infrastructures (tant dans le domaine de l’énergie que des télécommunications, notamment en ce qui concerne les réseaux de fibres optiques). Diverses projections témoignent de ce phénomène en Europe : en 2030, les data centers pourraient représenter de l’ordre de 20 à 30 % de l’électricité consommée au Danemark et en Irlande (selon les opérateurs de réseau électrique nationaux) qui ont développé des stratégies très agressives pour attirer ces investissements.
Et ces tensions ne surviennent pas uniquement à moyen terme : on observe que Amsterdam a établi un moratoire d’un an (en 2019) sur les nouveaux projets de centres de données. Au vu de la forte croissance observée (10 à 15 % par an sur les sept dernières années), les autorités publiques locales ont souhaité organiser une pause afin d’évaluer et d’améliorer les principes en termes d’accès au foncier et à l’énergie. Cette situation observée aux Pays-Bas mérite que l’on s’y attarde, car elle est susceptible de préfigurer d’autres phénomènes de «congestion» en Europe du Nord, qui concentrait jusqu’à présent une part prépondérante des investissements (notamment en raison d’un climat plus propice à la gestion de la dissipation de la chaleur), mais également en France (notamment en Île-de-France).
En cohérence avec le Green Deal, la Commission Européenne a fixé en 2020 l’objectif suivant : « to achieve climate-neutral, highly energy-efficient and sustainable data centres by no later than 2030 »[4]. Cette ambition fait également écho aux préoccupations de l’UE concernant la transformation des industries à forte intensité énergétique, sachant que le secteur des centres de données est celui qui se distinguera par la plus forte croissance au cours de la décennie. Jusqu’à présent, l’Union Européenne s’est principalement appuyée sur des efforts volontaires pour gérer les besoins énergétiques du secteur des TIC, par le biais du code de conduite[5], mais cette démarche sera insuffisante pour aboutir à une neutralité en 2030. L’UE et les États-membres devront sans doute travailler dans une optique de co-régulation avec l’industrie, notamment celle qui a pris l’initiative du Climate Neutral Data Centre Pact lancé début 2021[6], reprenant l’objectif d’une neutralité en 2030.
Mais l’essentiel est sans doute ailleurs : comprendre comment la croissance des data centers en Europe contribue (ou non) à l’évolution de nos sociétés, sachant que ces infrastructures serviront tout aussi bien à alimenter des flux de streaming vidéo, dont l’utilité peut être questionnée, qu’à organiser des activités « à distance » ou transformer nos métropoles en smart cities, contribuant aux objectifs de décarbonation.
Références
[1] International Energy Agency, Data Centres and Data Transmission Networks, 2020..
[2] Power Usage Effectiveness (P.U.E.): rapport entre l’électricité totale consommée par l’installation d’un centre de données et l’électricité totale consommée par les équipements informatiques.
[3] Montevecchi, F., Stickler, T., Hintemann, R., Hinterholzer, S. Energy-efficient Cloud Computing Technologies and Policies for an Eco-friendly Cloud Market. Final Study Report. Vienna. Report commissioned by the Directorate-General for Communications Networks, Content and Technology, European Commission, 2020.
[4] European Commission, Shaping Europe’s digital future, COM(2020) 67, 19.02.2020.
[5] JRC, Best Practice Guidelines for the EU Code of Conduct on Data Centre Energy Efficiency, 2020.
[6] www.climateneutraldatacentre.net
Patrice GEOFFRON
Docteur en économie industrielle, Patrice Geoffron est professeur à l’Université Paris-Dauphine, dont il a été président intérimaire et vice-président international.
Il en a également dirigé le laboratoire d’Economie (LEDa) de 2007 à 2015. Il est professeur invité à l’Université Bocconi de Milan depuis plusieurs années, ainsi que membre du Cercle des Économistes. Auparavant, il a notamment siégé au conseil mondial de l’International Association for Energy Economics, et en tant qu’expert auprès de la Convention Citoyenne pour le Climat.