Dans la lumière Brune
DANS LA LUMIERE BRUNE
Présenté à la dernière Foire du livre de Brive, le nouvel opus d'Alain Amariglio revisite le destin funeste de l'un de nos maréchaux d'Empire les plus méconnus, emporté par la Terreur blanche post-Waterloo.
(Suggestion d'accord vin+musique : choisissez une brasserie du boulevard parisien éponyme, avec un verre de Gevrey Chambertin, en écoutant le concerto pour violon n°1 de Chostakovitch).
Paratexte
Souhaitons que les libraires présentent l'ouvrage sur chevalet. La couverture expose les reliefs bruns d'une carte de Cassini qui fait écho aux villosités fractales de l'histoire. Pour rejoindre la cité d'Avignon et son dernier acte, il faudra en escalader le dos et se retrouver sur la quatrième de couverture, sous le regard de l'Empereur, dont l'ombre portée, dressée, impose sa puissance tellurique aux événements. L'éditrice aura choisi de le genrer "Roman historique", mais "geste napoléonienne" ou "uchronie révolutionnaire" aurait pu convenir également. Quant à l'épigraphe d'Huxley sur le bégaiement de l'histoire, elle résonne en écho à la phrase de Gide : "Tout a été dit, mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer."
Elevator pitch
Tomber sur Alain Attal (un autre AA) dans un ascenseur. Lui dire que c'est une histoire de fidélité au grand chef visionnaire. Que ça se déroule dans une de ces époques d'hubris guerrier et d'explosion sociale latente. Qu'il y a là des conquêtes et des batailles, de l'obsidional et du méridional. Que vous ne voyez vraiment que Lavant pour le rôle de Napoléon et bien sûr Depardieu pour celui de Dumas (l'écrivain, pas son général de père, qui illumine la dernière partie de l'intrigue), mais que par contre pour Brune vous hésitez (Darroussin ?).
Ah, Spada !
L'auteur a choisi de nous faire traverser cette épopée de Guillaume Brune par le truchement d'un certain Spada, un sidekick fictif dont on ne sait s'il l'accompagne pour le protéger ou l'espionner. Il raconte à la manière du cavalier d'échecs, par d'obliques sauts, en palinodies, irrespectueux de la trame linéaire du temps. On pourra lui en vouloir, à Spada, de s'être complu dans ses remords, de ne pas avoir tiré son épée ou son mousquet à temps pour sauver le maréchal, finalement piégé par la vindicte populaire. Nous attendrons une prequel pour qu'à nos yeux il puisse se racheter. (Au fait, Attal propose que ce soit Amalric qui l’incarne à l’écran).
Concordance des temps
Ce livre n'est pas (juste) un roman historique. C'est un livre sur la déception des peuples lorsque leurs rêves de renouveau s'effondrent ("Sans être achevée, la révolution était déjà finie"). C'est un livre sur la puissance incontrôlable des rumeurs, des fake news (on imagine les titres de la presse à scandale : Brune a-t-il volé le trésor de Berne ?, ou bien : La princesse de Lamballe décapitée par le maréchal !). C'est un livre sur Marseille, cette ville qui ne craint degun, cette ville "tendue comme un arc". Sur l'iconoclasme moderne, des bustes brisés de l'Empereur jusqu'à nos portraits volés d'un Président. Vous y humerez aussi des notes de fond sur la technologie, du télégraphe Chappe jusqu'à l'obsession pour la mesure ou la pesée, de la géométrie militaire jusqu'à l'expédition d'Egypte. C'est enfin, et surtout, un livre sur le hasard et le déterminisme, sur l'enchaînement mécanique des causes, sur la contingence, sur l'affadissement des systèmes soumis à l'entropie. "Savez-vous ce qu'est un algorithme, Spada ?" lui demande Brune, peut-être nourri aux idées contemporaines de Laplace sur un démon omniscient.
Staccato de mots
Cette histoire de Brune, on pourrait la raconter en roman-photo, en série de bas-reliefs, en dramatique radio, en mini-tableaux vivants comme au Puy du Fou, en opéra tragique. Alain Amariglio a choisi des phrases sur du papier, un staccato de mots qui colle au rythme effréné des événements, la basse rythmique du fond historique entre-tressée sur la ligne mélodique du destin personnel du maréchal. Dans ses précédents ouvrages, son style a fait merveille pour évoquer des débuts, les hoquets d'une startup ou les émois d'un enfant apprenant, le voilà qui fait également mouche pour nous narrer l'épilogue d'une vie : « Hier on mourait pour la couleur d’une cocarde ou un regard de travers. Demain, encore, je le craignais ».
A(mariglio)/B(ergounioux) testing
Un tableau représentant l'assassinat de Brune a servi à Pierre Bergounioux de germe autour duquel il cristallise un livre de souvenirs personnels. Par cet infime orifice, toute sa vie se précipite et imprime dans nos cerveaux une image nette, à la grande profondeur de champ. PB, l'homme-sténopé :
"Un fabricant d'étoffe, armé d'un pistolet, manque Brune à deux mètres mais un portefaix l'abat d'un coup de carabine tiré dans le dos, à bout portant. Le corps sera percé de nouveaux coups, avili puis jeté dans le Rhône."
Chez Alain Amariglio, l'optique est différente. Son « Brune » s'apparente à une loupe savamment polie, un collecteur de toute la lumière d'une époque, au travers duquel les destins entrecroisés nous apparaissent agrandis et intelligibles, comme mythifiés. AA, l'homme-lentille :
« Les hommes l’encerclent comme des hyènes, en silence. L’un d’eux, petit, maigre, portant une carnassière de chasse en cuir et tenant un pistolet à la main, s’enhardit.
— Nous voulons ta tête, dit-il d’une voix épaisse et grasseyante.
— À mort ! hurlent les autres.
Les gardes ne bougent pas.
Moi non plus.
— Faites ! dit Brune en se découvrant la poitrine.
Alors, celui qui a parlé le premier vise le maréchal avec son pistolet et tire.
Une énorme détonation retentit et nous assourdit, pendant qu’une odeur de poudre envahit la chambre.
Brune a-t-il dévié le coup de la main ? Il n’est pas touché.?
— De si près... dit-il.
L’homme appuie sur sa poitrine un second pistolet, de la main gauche. Cette fois, le maréchal ne fait pas un geste. L’homme tire. Rien ne se passe. Le coup s’est enrayé.
— Maladroit, dit Brune.
Un portefaix, énorme, furieux, manches retroussées, hurle en provençal :
— C’est vrai, tu vas voir comment on fait !
Il passe derrière le maréchal. Cette fois, j’essaie de me lever mais, fermement ceinturé, je n’y parviens pas. Je vois le portefaix appuyer sa carabine dans le dos du maréchal et la bloquer contre l’épaule d’un de ses complices.
Le coup retentit dans toute la pièce, dans toute la ville, peut- être. Le maréchal tombe face contre terre.
Il est deux heures et demie.
C’est fini. »
Brune
Suggestion de lecture : comme ces moëllons d'attente que les bâtisseurs disposaient dans leurs constructions en anticipant l'adossement des futures constructions voisines, tentez de repérer dans le « Brune » d'Alain Amariglio les ergots judicieusement disposés pour y arrimer ses prochaines productions littéraires ...
Biographie de l'auteur de la chronique
phlppprz a travaillé dans la photo-interprétation militaire, le développement économique régional et la diplomatie scientifique. Il est depuis quelques mois chargé de la stratégie d'un groupe qui investit dans l'éducation privée. A ses moments perdus, il continue à s'adonner à sa passion pour l'écriture.