La R&D un tremplin pour les fonctions de responsabilité managériales dans un univers multiculturel
R&D
un tremplin pour les fonctions de responsabilité managériales dans un univers multiculturel
Thierry, pourrais-tu revenir sur les principaux tournants de ta carrière ? Ce qui t'a permis d'y arriver ?
J’ai eu la chance de débuter ma carrière au moment où la téléphonie mobile numérique et la mondialisation de cette industrie prenaient leur essor – j’ai commencé un peu par hasard (et aussi grâce à une bourse d’études) dans ce secteur, dans le cadre d’un projet franco-allemand, au sein de la filiale française de Philips (TRT, devenue ensuite Lucent, puis Alcatel-Lucent), et j’ai pu « faire le tour » du secteur au sein de mes différents postes techniques, commercial, ou de direction, chez des constructeurs ou des opérateurs à forte vocation internationale. Plutôt que des tournants, les changements de poste ont résulté d’opportunités nouvelles, et du besoin de découvrir de nouveaux horizons en évitant le « déjà vu ».
Un mot : "le réseau" qu'il convient de développer avant même la sortie de l'école,
et ne jamais négliger.
Qu'est-ce qui a guidé ton choix de premier poste ? Notamment, que t'a appris Télécom Paris pour ce premier poste ?
J’avais envie de commencer par un poste technique, dans un labo de R&D, qui me permettait de mettre en pratique les connaissances théoriques apprises à l’Ecole – l’idée étant que si je ne commençais pas par ce type de poste, l’opportunité de se confronter aux dures lois de la recherche appliquée ne se présenterait pas après plusieurs années dans un autre poste. J’avais beaucoup aimé l’ambiance du labo dans lequel j’avais effectué mon stage de dernière année, où j’ai été très bien accueilli et où j’ai pu rapidement prendre des responsabilités de management d’équipes.
Comment as-tu réussi à accéder à ton poste actuel ?
La réponse tient en un mot – le réseau… qu’il convient de développer avant même la sortie de l’École, et ne jamais le négliger ; avant tout parce que ça permet de rester en contact avec des collègues qui au fil du temps peuvent devenir des amis, et de partager les informations pertinentes pour pouvoir s’entre-aider. Plus concrètement, j’ai eu la chance d’être installé à la place voisine de celle d’un responsable de la société qui m’emploie aujourd’hui lors d’une conférence dont j’étais co-organisateur. Lors de ce diner, nous avons échangé sur nos expériences respectives et avons découvert de nombreuses connaissances et projets communs – ce qui a grandement facilité la fourniture de références et la mise en confiance, malgré la différence culturelle (s’agissant d’un grand groupe Chinois). La curiosité culturelle et l’envie d’un nouveau défi ont fait le reste.
Bien analyser la société qu'on s'apprête à rejoindre...
Pourrais-tu nous décrire le passage de la R&D à un poste stratégique ? Prérequis pour y parvenir ?
La pertinence de mon expérience est sujette à caution, tant le monde des télécoms a évolué. Ce changement s’est en effet opéré pour moi au tout début des années 90 (pour donner une idée, rappelons que l’internet, le portable, le smartphone, les PC, les mails, Excel et Powerpoint n’existaient pas (ou peu), et que le fax et le minitel étaient à la pointe de la technologie !). Pour résumer j’étais intéressé par les aspects techniques et par le côté ludique de la recherche (surtout quand on trouve), mais je savais dès le départ que je ne passerai pas ma vie dans un labo.
Après cinq années, ayant mené à bien avec succès un projet jusqu'à la phase d’industrialisation, y compris les dépôts de brevet et les premiers tests en clientèle, et ayant pris des responsabilités de gestion d’équipe, j’ai pensé que c’était le bon moment pour changer. D’autant plus que j’avais identifié que le management, l’international et les contacts clients étaient les trois éléments que je souhaitais développer dans mes futurs postes. A cette période, j’ai eu des contacts très intéressants avec les responsables de la SITA, société internationale peu connue mais qui gérait l’ensemble des communications internationales des compagnies aériennes dans le monde. La société se préparait à une transformation majeure, et recrutait pour développer de nouveaux services et définir, puis mettre en place, la stratégie de croissance. Etant par ailleurs passionné d’aéronautique, j’ai vite sauté sur l’occasion, et découvert une entreprise exceptionnelle, avec la culture la plus internationale qu’on puisse imaginer, où je suis resté 16 ans.
Pour répondre à ta question concernant les prérequis, le seul qui me semble pertinent est l’envie ; il faut par ailleurs s’assurer que les objectifs de la société, sa culture d’entreprise et ses dirigeants correspondent à vos souhaits - les postes dans une direction stratégique conduisant généralement à être régulièrement en contact avec eux, il vaut mieux pouvoir établir rapidement une relation de confiance mutuelle.
Quels conseils donnerais-tu aux personnes dans ton domaine ?
Le seul conseil que je peux donner, c’est de bien analyser la société qu’on s’apprête à rejoindre, même si la personne qui fait appel à vous est un ami et ancien collègue. En effet, il y a cinq ans, je quittais Alcatel-Lucent juste avant la fusion avec Nokia, pour rejoindre une société qui développait des logiciels pour les opérateurs. Il se trouve en effet que celle-ci était financièrement aux abois.et a été rachetée et démantelée environ 18 mois après mon arrivée... Ce principe devrait évidemment rester en permanence à l’esprit avant tout changement de poste.
Quel futur envisages-tu pour ton domaine dans cinq ans ? Quelles difficultés crains-tu pour le secteur ?
A première vue, l’âge d’or des télécoms, en tout cas en Europe, semble derrière nous, conséquence de la concurrence asiatique déjà mentionnée, d’une règlementation trop fragmentée (en particulier pour la gestion des fréquences et des licences), et d’un abandon progressif d’une politique industrielle qui puisse permettre l’émergence de champions européens. La convergence IT/Télécoms dont on parle depuis maintenant plus de 10 ans se met en place avec l’arrivée de la 5G et la virtualisation des réseaux, et va s’accélérer avec le développement des nouveaux services (en particulier pour l’industrie), puis des ordinateurs quantiques.
J’espère évidemment un sursaut, car il n’y a aucune fatalité à devoir uniquement dépendre des américains ou des chinois pour les réseaux (qu’ils soient sociaux ou d’infrastructure). De nouveaux défis se présentent, notamment la protection de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique, la gestion des problèmes liés à la sécurité et aux libertés individuelles, qui vont sans nul doute créer des opportunités d’innovation dans notre secteur, et pour lesquelles l’Europe peut apporter une vision stratégique et des réponses conformes à sa culture. A ce titre, lors du diner de la Fondation Telecom qui s’est tenu au mois d’octobre, j’ai été particulièrement intéressé par les échanges avec les étudiants de l’Ecole, qui se battent pour que ces sujets (et en particulier le premier) soient davantage enseignés et fassent l’objet de plus de recherches.
Dans cinq ans, peut-être commencerai-je a songer à la retraite, mais dès maintenant je suis confiant que la relève est assurée !
Biographie de l'auteur
Après son diplôme de Télécom Paris obtenu en 1984 et son service militaire dans la Marine, Thierry Langlais a rejoint TRT, filiale française du groupe Philips, au sein du département de transmissions numériques, où il a participé au développement et a l’industrialisation des premiers codeurs numériques de TV, ainsi qu’aux travaux de normalisation du GSM. Après cinq ans, il a rejoint la SITA (Société Internationale de Télécommunications Aéronautiques), participant au développement commercial et à la forte croissance de la société et de sa filiale Equant (aujourd’hui Orange Business Services) dans des fonctions de management dans les divisions Stratégie, Engineering, puis en tant que responsable de Business Unit. Il a activement contribué aux premiers projets d’externalisation de réseaux (« Managed Services ») qui ont été le principal vecteur de croissance de SITA et Equant.
En 2004, il a rejoint Alcatel en tant que responsable des ventes et du développement de la division informatique (Alcanet), et après la fusion avec Lucent a pris la responsabilité de la division « Managed Services » pour la région EMEA – rôle qu’il a ensuite poursuivi en rejoignant en 2014 la société Comverse (spécialisée dans les systèmes de facturation et les solutions software pour les opérateurs télécoms), puis en 2015 ZTE, un des principaux équipementiers mondiaux leader dans la 5G.