Comment voir la matière grâce à la physique Quantique ?
Si l’informatique quantique peut être comparée à un cerveau capable d’effectuer des calculs a une vitesse prodigieuse, les capteurs quantiques peuvent, quant à eux, être comparés à des mains ou à des yeux capables de ressentir le monde qui nous entoure à des échelles inatteignables pour nos sens. Sans ces capteurs, l’informatique quantique serait le plus souvent contrainte dans une sphère théorique sans connexion avec le réel. Et si finalement, pour progresser efficacement, il ne faudrait pas réconcilier Rousseau et Mme Necker en développant à la fois nos sens et notre esprit ?
VOIR LA MATIÈRE À L’ÉCHELLE DU NANOMÈTRE
Qu’est-ce qu’un nanomètre ? cette unité de mesure correspond au milliardième du mètre, c’est environ 10 fois la taille d’un atome, et c’est aussi la distance qui sépare deux atomes. Dans un autre domaine, le nanomètre c’est à peine moins que la taille des virus comme le Corona qui ont une taille allant de 20 à 300 nm. Le nanomètre c’est encore la taille du rayon de la double hélice de l’ADN.
Dans le domaine de l’électronique enfin, nos microprocesseurs les plus miniaturisés présentent des éléments (transistors) dont les dimensions caractéristiques atteignent, aujourd’hui, quelques nanomètres. Avec ces références en tête, on comprend mieux tout l’enjeu qu’il y a à mieux comprendre la matière et le monde qui nous entoure à l’échelle du nanomètre. Cette échelle offre la promesse d’avancées fantastiques dans un univers qui nous échappe encore en partie.
Grace aux microscopes AFM (à force atomique), conçu dans les années 70, il est déjà possible de sonder au niveau d’un atome la topographie d’un solide, d’en mesurer la conductivité, la chaleur… mais pas encore le magnétisme.
En effet, les techniques actuelles de microscopie AFM (à force atomique) utilisent de petits aimants pour sonder le champ magnétique de la matière. Malgré la taille microscopique de ces aimants, elles ont malgré tout tendance à perturber les propriétés magnétiques des matériaux mesurés. Or, il s’agit d’une propriété fondamentale des matériaux, indispensable si nous voulons continuer à améliorer les performances de nos micro-processeurs, nos capacités de stockage avec l’utilisation de la technologie spintronique [1], notre compréhension du vivant...
Sonder la matière et en mesurer le magnétisme, c’est justement l’une des ambitions de Qnami. La start-up a été lancée, en 2016, à l’université de Bâle sur la base des travaux du professeur Maletinsky. Cet enseignant-chercheur a mis au point une technique de mesure des matériaux en combinant un matériau unique, le diamant, et les technologies quantiques. Ces résultats ont suscité beaucoup d’intérêts, car ils offraient une bien meilleure sensibilité pour mesurer les signaux électriques à l’échelle du nanomètre.
Depuis la start-up a grandi. Elle est toujours basée en Suisse, mais elle compte aujourd’hui une dizaine d’employés provenant de nombreux pays (Suisse, France, Russie…), qui sont pour la plupart d’anciens doctorants. En ajoutant à l’intérieur d’une pointe de diamant des défauts Azote-Lacune ou centres NV (pour Nitrogène-Vacancy), la jeune équipe révolutionne le monde de la microscopie AFM.
Le centre NV du diamant est un capteur doté de caractéristiques remarquables. D’une part, ce défaut cristallin possède un spin électronique extrêmement sensible au champ magnétique. D’autre part, les propriétés optiques du centre NV offrent la possibilité de détecter la fréquence de résonance de ce spin électronique par voie optique [2]. Ces propriétés permettent une mesure quantitative du champ magnétique auquel le centre NV est soumis.
La mise en pratique de cette particularité des centres NV permet d’effectuer une cartographie du champ magnétique à une échelle de l’ordre de 10 nm, ce qui est impossible avec les autres technologies.
Grâce à leurs travaux et aux valeurs qui les animent (ouverture, précision, enthousiasme), Qnami a fait progresser son capteur et offre aujourd’hui une solution de microscopie complète intégrant ce capteur.
UNE NOUVELLE FENÊTRE SUR LA MATIÈRE
De la même manière que la détection, en 2015, des ondes gravitationnelles a permis d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur l’observation de l’univers (notre observation de l’univers n’est désormais plus uniquement liée aux ondes électromagnétiques, mais aussi aux fluctuations de l’univers lui-même), les capteurs de Qnami nous permettent d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur notre compréhension de la matière.
Cette possibilité de pouvoir mesurer le champ magnétique des matériaux à l’échelle de l’atome offre de nombreuses perspectives à courts termes, comme celles de mieux comprendre les effets magnétiques de nouvelles structures qui pourraient remplacer ou optimiser l’utilisation du silicium dans nos composants informatiques et ainsi d’améliorer encore un peu les capacités de nos ordinateurs. C’est aussi et surtout la possibilité de faire aussi bien, mais en consommant moins. Les capteurs de Qnami seraient également les candidats idéals pour identifier les défauts dans les circuits intégrés.
Dans le secteur de l’aéronautique, ces capteurs permettraient de rechercher de nouveaux matériaux ayant des propriétés spécifiques comme une meilleure résistance à la corrosion. Dans le domaine de la santé, c’est également la possibilité de mieux comprendre le vivant à l’échelle des virus ou de notre ADN.
La technologie proposée par Qnami se positionne actuellement davantage dans le domaine de la recherche fondamentale, mais la start-up ambitionne de proposer rapidement des solutions qui pourraient être utilisées au niveau industriel [3].
"Rousseau, partant du principe que les idées ne nous arrivent que par les sens, voulait qu’on commençât par perfectionner les organes de la perception. Mme Necker estimait qu’il fallait agir immédiatement sur l’esprit par l’esprit. L’essentiel à ses yeux était d’accumuler les idées.
L’éducation des femmes par les femmes (1885)"
Octave Greard
Références
1 La spintronique, électronique de spin ou magnétoélectronique, est une technique qui exploite la propriété quantique du spin des électrons dans le but de stocker des informations.
2 Source : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01154125/document
3 Le capteur en lui-même sera très certainement proche, mais l’instrumentation sera adaptée aux besoins industriels.
Mathieu MUNSCH
Mathieu Munsch est l’un des co-fondateurs et le PDG de Qnami. En 2006 il obtient son diplome d’ingénieur de l’ENS Grenoble INP Phelma et se lance dans un doctorat et l’exploration les technologies quantiques. Ses recherches se poursuivent au CEA de Grenoble puis à l’université de Bâle en Suisse et se traduiront par >15 publications dans des revues prestigieuses telles Nature et the Physical Review. En 2017, Mathieu crée Qnami avec l’ambition de créer un acteur majeur des technologies quantiques. Mathieu est également un membre de plusieurs groupes de travail au sein du Quantum Flaghsip, le programme Européen pour le developement des technologies quantiques. Dans son temps libre, Mathieu est un amateur de musique et joueur de Go.
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