LE VÉHICULE AUTONOME : objet de la ville d’après-demain ?
Entre 2014 et 2017, 80 milliards de $ ont été investis dans le développement des différentes technologies du véhicule autonome. Sur la période 2018 – 2022 ce chiffre devrait doubler pour atteindre 160 milliards de $ (selon Frost & Sullivan). Dans la course au véhicule autonome qui se révèle semée d’embuches (technologiques, règlementaires, organisationnelles…), les forces en présence tentent d’imposer leur vision et rivalisent d’efforts pour faire émerger un environnement favorable à la mobilité autonome. Dans un contexte de crise sanitaire toujours menaçant pour nos économies et où les enjeux environnementaux poussent vers une réorientation profonde de nos systèmes de mobilité au sens large… Quelle place pour les véhicules autonomes ? Selon quelles conditions et pour répondre à quels besoins ?
LES DÉFIS DE L’AUTOMATISATION DU VÉHICULE
Si aujourd’hui de nombreux articles de presse grand public évoquent le véhicule autonome comme une technologie mature, il s’agit en réalité d’une technologie de pointe se heurtant à de nombreux défis. Avant même d’être un objet de demain, le véhicule autonome est en réalité le véhicule d’après-demain. Les défis s’il fallait n’en citer que quelques-uns, sont notamment d’ordre juridique :
- La définition de l’allocation des responsabilités et de prise en charge assurantielle en cas d’incident ;
- Le définition d’un cadre juridique pour la protection des données (notamment les données personnelles) ;
- La mise en place d’une réglementation spécifique à l’intelligence artificielle notamment sur les volets éthiques (niveau de contrôle sur les algorithmes et gouvernance associée) ;
- La nécessité d’une harmonisation supranationale de la réglementation du véhicule autonome pour permettre la mobilité transfrontalière.
Mais le développement du véhicule autonome doit aussi faire face à de grands problèmes d’ordre technologique, notamment :
- La définition des standards pour l’ensemble des briques technologiques embarquées et débarquées nécessaires au bon fonctionnement du véhicule, pour permettre l’interopérabilité des systèmes ;
- Le développement d’algorithmes permettant de répondre à toutes les situations dans lequel le véhicule peut se trouver1 ;
- La mise en place de systèmes optimisés et énergétiquement efficients2.
Face à ces nombreuses difficultés (qui sont actuellement adressées dans le cadre de programmes d’expérimentation), la notion même d’autonomie est remise en question. En outre, elle sous-tend l’idée que nous serions amenés à voir apparaître deux types de véhicules : ceux qui sont autonomes, et ceux qui ne le sont pas. Or, l’autonomie est un processus progressif. Pour matérialiser cette progressivité, SAE International (ex-Society of Automotive Engineers3) a développé une échelle de référence, catégorisant les véhicules en cinq niveaux, le stade cinq correspondant au développement d’un véhicule capable de se déplacer sans conducteur dans toutes les situations, et le stade un à l’absence complète d’autonomie. La majorité des expérimentations actuellement menées en France et à l’étranger portent sur les niveaux trois et quatre. En 2020 Elon Musk (PDG & fondateur de Tesla) annonçait être « très proche du stade cinq des véhicules autonomes ». À l’aube de l’année 2022, le service autopilot de Tesla n’assure qu’une autonomie de niveau deux. C’est pourquoi la notion d’autonomie évolue aujourd’hui pour considérer le véhicule comme « automatisé et connecté ».
LE VÉHICULE AUTOMATISÉ AVANT TOUT CONNECTÉ, AU CŒUR DES RÉSEAUX
Pour devenir une réalité, le véhicule automatisé sera (et est déjà) inéluctablement connecté. Connecté avec ses passagers (via ses objets connectés), avec les autres véhicules, mais aussi avec l’infrastructure. S’il pourra être considéré comme autonome au regard de son niveau d’interaction avec le conducteur (devenu passager), il sera finalement dépendant de la connexion avec son environnement. Les modalités de ses connexions évoluent de concert avec les progrès technologiques fulgurants dans le domaine du numérique et des télécommunications (ITS G5 ; 5G ; Direct C-V2X ; etc.).
UN MODÈLE À CONSTRUIRE
Au regard de cette dépendance, on peut imaginer que la connexion aux réseaux puisse se faire en priorité dans le centre des mégapoles, hubs de l’Hyper mondialisation (et donc Hyperconnecté par essence), ou dans une moindre mesure dans de grandes métropoles, si nous raisonnons à l’échelle de la France. Des modèles économiques tout à fait favorables pour les acteurs privés pourraient y émerger (coûts moindres du déploiement d’infrastructures, forte densité de la demande de déplacement, etc.) mais des contraintes importantes y sont associées : forte congestion, complexité importante des réseaux physiques dans les villes denses, etc. Pour les collectivités territoriales, les enjeux sont ailleurs : elles s’intéressent aujourd’hui à la pertinence du véhicule autonome dans les problématiques de rabattement en périphérie des grandes agglomérations, ou directement dans les connexions périphérie-centre.
Dans ce contexte, certains voient l’émergence de deux scénarii antagonistes possibles. L’un massivement privé, où le temps de transport devenant utile, les distances et les bouchons augmenteront par le développement de services autonomes dans les grands centres urbains. L’autre massivement public, structuré par le développement important de transport autonome collectivisé, produisant des gains importants d’espace public mais prenant les contours d’une mise en commun forcée.
Ces éléments permettent une prise de conscience de la grande complexité induite par l’arrivée de ce nouvel objet des futures smart cities. La diversité des acteurs impliqués, des visions proposées et des intérêts privés et publics simultanés nécessiteront sans aucun doute une refonte des modèles organisationnels traditionnels dans le domaine du transport et de la mobilité. Se révèlera alors la capacité de l’ensemble des parties prenantes à construire une ville intelligente, où la technologie ne constitue qu’une partie du défi.
Mathieu PY
est consultant en management de projet Mobilité intelligente chez Algoé Consultants. Matthieu anime le groupe de travail ATEC ITS France « Ville & véhicule automatisé ».
Adrien VITET
Ingénieur ENSGSI, est Manager chez Algoé depuis février 2020. Avant de rejoindre Algoé, Adrien a acquis une solide expérience de l’exploitation de la route, que ce soit sur l’exploitation opérationnelle ou sur des projets de R&D en lien avec les mobilités intelligentes et les nouveaux dispositifs d’exploitation. Il apporte toute cette expérience au sein d’Algoé depuis 2020, au travers des missions de conseils et d’accompagnement en management de projet européens sur le domaine des C-ITS (MTE-DIT), de projets d’exploitation du trafic, et d’accompagnement sur la mise en œuvre de politique d’exploitation et d’information usagers (DIR Ouest).
Références
1 Une part significative des incidents survenus dans le cadre des tests de véhicule autonome sur voie ouverte mettent en évidence une défaillance de l’IA embarqué dans la reconnaissance des situations auxquels le VA est confronté.
2 La multiplication des capteurs, des réseaux de neurone et de l’échange d’information au sein du véhicule (les véhicules autonomes pourraient engendrer jusqu’à un Go de données par seconde) entraîne une consommation d’énergie de plus en plus importante ainsi qu’un besoin croissant de performance.
3 Association professionnelle basée aux États-Unis qui investit dans l’élaboration de normes pour les professionnels de l’ingénierie automobile.