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01 juillet 2024

Éditorial
Sciences, technologies, guerre et défense nationale

Publié par Général (2e section) François Chauvancy | N° 213 - IA et Santé & Numérique et Défense

Le débat est ancien sur les liens entre les sciences, leurs applications dans le domaine des technologies au service de la défense nationale et de la guerre, par ailleurs, sa conscience.

 

L’éthique d’une part, la déontologie d’autre part, conduisent à se poser la question des sciences au service de la guerre. La question semblait plus ou moins résolue après la chute du mur de Berlin. Il était finalement accepté qu’un scientifique ne puisse pas contribuer au développement d’armes pouvant menacer l’être humain. La guerre était « globalement » morte. Des conventions étaient signées au sein de la communauté internationale sur l’emploi ou non de certaines armes, leur encadrement dans leur usage au titre du droit dans la guerre.

 

Aujourd’hui le retour de la guerre, l’échec du contrôle international des armements, la différence enfin dans la compréhension des États dans l’usage ou non d’armes létales remettent en question ces barrières éthiques ou déontologiques aisément défendables en temps de paix.

 

Nous pourrions citer un exemple historique certes ancien. Au nom de la morale, l’arbalète avait été interdite du champ de bataille par l’Église dans l’Europe chrétienne au Moyen-âge. Jugée trop meurtrière, son usage entre chrétiens était interdit en 1139 par le IIe concile de Latran puis en 1143. Les fabricants de cette arme et ceux qui en faisaient le commerce étaient menacés d’excommunication et d’anathème. Cette interdiction n’a pas tenu très longtemps compte tenu de son efficacité par rapport à l’arc.

 

La guerre en Ukraine est un autre exemple significatif à plusieurs titres : utilisation de drones armés de plus en plus perfectionnés – leur létalité ayant fait l’objet de nombreux débats en Europe –, livraison de mines antipersonnel à l’emploi interdit par nombre de pays mais il est vrai ni par l’Ukraine, la Russie, les États-Unis, la Chine et ne suscitant pas de manifestation d’associations comme c’était le cas dans le passé pour d’autres guerres… En fonction des guerres, des armes et des technologies deviennent licites de fait.

 

Le désarmement, soutenu jusqu’à présent par les grands États, est désormais partiellement caduc. Les budgets de la défense, de la R&D augmentent d’autant plus que l’existentialité d’États paraît être mise en cause. La robotisation « armée » sur le champ de bataille apparaît, avec cette question désormais : dans le cadre de la défense nationale, nos ingénieurs peuvent-ils ou non, doivent-ils ou non contribuer au développement des sciences et à leurs applications technologiques au service de notre sécurité extérieure collective ?

 

Chacun est face à sa conscience, les principes humanistes des uns ou des autres étant questionnés face à une réalité. Face au choix individuel, se pose alors la question de l’attitude collective, en l’occurrence celle de l’État, premier responsable de notre sécurité dont chacun bénéficie aussi par ailleurs. Il serait difficilement compréhensible, y compris en démocratie, de laisser sans réponse des choix individuels qui entraveraient la protection de tous. Vaste sujet.

 

Comme en témoigne ce numéro, le cyber sous toutes ses formes prend une place de plus en importante dans la guerre. À la différence de bien d’autres instruments au service de la guerre, le cyber paraît moral puisque la visibilité des morts n’existe que pas ou peu. Il s’agit bien de la différence fondamentale entre les armes de guerre et le cyber sous ses différentes formes. Pour autant, ce domaine où se livre une réelle guerre de l’information pour l’acquérir, en interdire l’accès, la modifier, pour influencer, est-il plus moral que l’avion de chasse, le blindé ou une frégate ? Une question dont je laisse la réponse à chacun des lecteurs. 

Général (2e section) François Chauvancy,
rédacteur en chef de la revue Défense de l’Union-IHEDN.

Auteur

Général (2e section) François Chauvancy

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