Exposition aux ondes des réseaux cellulaires : point de situation et évolutions avec la 5G # 200
Un webinaire de Télécom Paris Alumni le jeudi 3 décembre 2020
Compte-rendu établi par Régis Duval (1981)
Alors que la 5G entame son déploiement commercial en France, les préoccupations relatives à l’exposition aux ondes des réseaux cellulaires prennent un caractère d’acuité sans précédent. En effet la 5G s’accompagne d’une extension considérable du spectre (doublement dans les fréquences basses, plusieurs centaines de MHz dans la bande 26 GHz), et introduit en même temps une transformation fondamentale des processus d’émission radio, et donc d’exposition aux ondes, à travers la technologie du Massive MIMO.
Lors d’un webinaire Télécom Paris Alumni tenu le 3 décembre 2020[1], cette problématique 5G a été développée au cours de trois interventions.
Exposition du public : quels critères de mesure ?
Tout d’abord, une présentation détaillée de la grande étude commandée en 1996 par la FDA aux USA (Federal Drug Administration) au NTP (National Toxicology Program, l’agence du NIEHS en charge des études de toxicologie https://ntp.niehs.nih.gov/), conduite de 2009 à 2018, et rendue publique le 1er novembre 2018. Cette présentation fut faite par Ronald Melnick, PhD, qui a été toxicologiste et biologiste pendant plus de trente ans au sein du NTP.
Ronald Melnick y a supervisé en tant que Directeur des Projets Spéciaux la conception, la préparation et le lancement de cette étude dotée de moyens colossaux (10 ans d’étude, 30 millions de $ de budget). Cette étude était très attendue dans un contexte qui a vu depuis 20 ans des milliers de travaux de différents types être menées[2] sans parvenir dans ce temps à une conclusion réunissant tous les suffrages. Ce rapport[3] conclut d’une part à l’existence de preuves claires que des rats mâles exposés à des niveaux élevés de rayonnements de radiofréquence comme ceux utilisés dans les téléphones portables 2G et 3G, ont développé des tumeurs cardiaques cancéreuses. Et d’autre part à celle de quelques preuves de tumeurs dans le cerveau et la glande surrénale de rats mâles exposés.
Diverses critiques ont été portées sur le protocole des tests, conduisant les grandes instances internationales et la plupart des grandes instances nationales - OMS, FDA aux USA, ANSES en France[4], BfS en Allemagne, etc. - à estimer le niveau de preuve apporté par cette étude comme insuffisant.
Azeddine Gati, Directeur du Département Green Wireless communication, 5G networks, Near field communication de Orange Labs Networwks, a ensuite développé les dispositions de protection quant au niveau des ondes des usagers eux-mêmes (du fait des téléphones mobiles) aussi bien que des riverains et des personnels d’exploitation des opérateurs (du fait des équipements réseau), et leurs conditions de mise en œuvre (simulations de niveaux de champ lors des modifications substantielles apportées aux sites ; contrôles sur le terrain). En prévision du déploiement de la 5G, et en l’absence d’éléments nouveaux probants, les niveaux actuellement en vigueur ont été considérés en mars 2020 comme toujours pertinents par l’ICNIRP, une organisation indépendante sur laquelle s’appuie l’OMS. Leurs paramètres dimensionnants (« paramètres de base ») qui servent au calcul des caractéristiques requises des équipements (valeurs DAS des smartphones ; limites de puissances d’émission des stations de base), ont de ce fait été reconduits tels quels pour les émissions 5G. Ces paramètres définissent des seuils de protection étalonnés pour éviter les effets de type échauffement cellulaire, considérés par l’OMS comme les seuls avérés à ce jour. Cette présentation a mis en lumière les caractéristiques nouvelles des champs émis par les antennes des réseaux en MIMO massif sous forme de pinceaux étroits (8° à 12° d’ouverture, 20 m de diamètre à une distance de 150 m), y concentrant toute l’énergie, et ce pour la seule durée de transmission effective (voir figure ci-dessous).
L’impact de la technologie MIMO massif
Le fonctionnement en mode MIMO massif change complètement les conditions d’exposition aux ondes créées par les réseaux cellulaires. Cette problématique tout à fait nouvelle a été présentée par Joe Wiart, titulaire de la Chaire C2M « Caractérisation, Modélisation et Maîtrise » des expositions aux ondes électromagnétiques de Télécom Paris. La définition même de l’exposition en 5G pose difficulté, car elle est essentiellement déterminée par la configuration locale, le nombre d’utilisateurs, leur type de trafic, la dynamique d’usage de ces utilisateurs (durée moyenne de connexion ou volumes de données livrées) et leur distribution géographique dans la zone. Définir ce qu’est une mesure d’exposition en 5G, comment seront établies les valeurs qui seront annoncées aux personnes qui exercent leur droit en les demandant pour leur lieu d’habitation ou de travail, devient un véritable problème technique qui nécessite modélisation, et simulations (modélisation stochastique géostatistique, et utilisation de méthodes empruntées à l’intelligence artificielle). Cette complexité soulignée par Joe Wiart pose une réelle difficulté de transparence vis-à-vis du public sur la réalité de l’environnement d’exposition aux ondes qui se superpose au problème de toujours de la nature et de la sévérité éventuelle du risque sanitaire porté par les ondes elles-mêmes. Ces questions font l’objet d’actives discussions abordées au sein d’un groupe de travail au niveau de l’IEC. Ce groupe est en place depuis trois ans ; la question n’est pas simple, la variabilité des instantanés de valeurs sera très élevée. L’ANFR a déjà conduit des campagnes de mesures sur la technologie 5G sur le terrain et a produit un rapport qui est disponible pour tous[5]. La principale différence est qu’il y a d’une part une composante ambiante liée au trafic des autres utilisateurs et d’autre part une composante directe liée à son propre usage qui n’est présente que lors de la communication. Et cette nécessité de créer un contexte de communication active change totalement la nature des sondes de mesures. Tout cela est en chantier, et les choses avancent.
La nécessité d’un nouveau cadre international
Le débat final a également abordé la question du développement d’une politique concertée internationale sur la réalisation des études sur les nocivités éventuelles liées à l’exposition aux ondes au lieu de la dispersion des approches et de l’absence de consensus sur les protocoles de conduite des expérimentations qui ont lourdement pesé sur l’acceptabilité de l’étude NTP. Joe Wiart a exprimé sa confiance dans ce domaine, une concertation mondiale ayant été ouverte autour de projets visant à prolonger et consolider l’étude NTP, en Corée, au Japon, et au NTP lui-même, en impliquant l’OMS.
Régis DUVAL
est diplômé de l’Ecole Polytechnique et de Télécom Paris.
Régis a commencé chez France Télécom, en régions, puis à la direction générale pour la planification des investissement et le déploiement des réseaux commutés voix. Régis rejoint Alcatel-Lucent en 1994.
Il est à la tête successivement de projets de développement accès large bande hybride optique-filaire ATM, CT2, de systèmes de commutation voix fixe et mobile E10 et S12, de transmission SDH et WDM, IMS, large bande vidéo hybride cellulaire et satellite DVB-SH. Conseil indépendant depuis 2010, Régis accompagne des collectivités locales en regard des enjeux du digital, notamment des réseaux mobiles.
Références
[1] Visionner ou revoir cette conférence
[2] Rapport interministériel ‘’Déploiement de la 5G en France et dans le monde: aspects techniques et sanitaires’’ publié en septembre 2020
[3] Rapport final de l’étude NTP https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/november1/index.cfm.
[4] Exemple ANSES, « Avis relatif à une analyse des rapports provisoires de l’étude du National Toxicology Program américain sur l’exposition animale à des radiofréquences », 28 septembre 2018
[5] https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/expace/CND/Rapport-ANFR-resultats-mesures-pilotes-5G.pdf