La 5G, et les ondes la santé # 200
Par Joe Wiart (1992)
Le déploiement des réseaux 5G engendre actuellement de nombreuses questions relatives aux effets sanitaires possibles. Depuis plus de 20 ans, l’exposition aux ondes radiofréquences est au cœur de nombreuses polémiques liées pour partie aux confusions ou aux idées reçues. Dans le même temps et de manière contradictoire, l’utilisation du téléphone portable est devenue massive : le baromètre du numérique de l’ARCEP indique qu’en 2019, la quasi-totalité des 18-39 ans (99 %) possédaient un téléphone mobile (86 % pour les 70 ans et plus).
QUELS SERAIENT LES RISQUES ?
Qu’en est-il des études sur les risques ? En Europe, de nombreuses études biomédicales et épidémiologiques internationales telles que « Interphone », « Mobikids », « Cosmos » ou « Geronimo » ont été menées. L’analyse des résultats est complexe : ainsi les auteurs de l’étude « Interphone » concluaient que les biais et les erreurs limitaient la force des conclusions que l’on peut tirer de ces analyses et empêchaient d’établir une interprétation causale. Dans de nombreux pays, les résultats de ces études ont été analysés et synthétisés par des groupes d’experts. Sans occulter les questions qui subsistent, leurs rapports concluent majoritairement que ces études ne montrent pas de risque avéré en dessous des limites sanitaires actuelles recommandées par la commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants, reprise en France par le décret n°2002-775 du 3 mai 2002. Parmi ces synthèses, la monographie du centre international de recherche sur le cancer (CIRC) est importante. En 2011, le CIRC a classé les ondes électromagnétiques comme « possiblement cancérogènes pour les êtres humains » (2B). Il est important de bien comprendre que « possible » ne veut pas dire « probable ». Cette classification n’affirme pas qu’un effet existe, mais montre que l’ensemble des études menées ne permet pas d’affirmer l’inexistence d’effet. Elle signifie qu’il pourrait y avoir un risque, et qu’il faut donc surveiller de près le lien possible entre les téléphones portables et le risque de cancer.
Implicitement cette classification du CIRC est une recommandation à rester vigilant, à poursuivre les recherches et à mettre en œuvre un principe d’attention.
Une telle approche est souvent difficile à comprendre. Nous vivons dans un monde où nous sommes habitués aux réponses immédiates et souvent binaires. Dans le domaine technique un système fonctionne ou pas ; la maîtrise parfaite des entrées d’un système simple permet aux ingénieurs d’avoir un contrôle total sur les sorties. Dans le cas de systèmes complexes cette approche simple n’est plus possible : c’est le cas des études biomédicales. Deux êtres humains appartiennent à la même espèce, peuvent se ressembler mais ils restent différents : il est donc nécessaire de répliquer et d’analyser avant de pouvoir conclure à l’existence d‘une relation causale. Chaque étude menée contribue à compléter la réponse, à affiner la conclusion et à réduire l’incertitude sur les effets possibles.
LA RÉGLEMENTATION EXISTANTE
En France (décret n°2002-775) et en Europe (1999/519/CE), les limites de protection relatives aux rayonnements non ionisants sont basées sur les recommandations de l’ICNIRP (International Commission for Non Ionizing Radiation Protection). Les chercheurs, médecins, biologistes, épidémiologistes et physiciens qui composent l’ICNIRP ont étudié l’ensemble des études publiées (humaines, animales et cellulaires) et ont recommandé en 2020 des limites de protection. En 2019, l’ICNIRP avait publié une version de consultation publique de ses lignes directrices révisées : 93 séries de commentaires, avec plus de 1500 commentaires individuels, ont été reçues et prises en compte dans les recommandations des limites de protection relatives aux effets avérés des rayonnements. Elles ont été publiées dans « health physics » en suivant le processus de révision usuel.
Pour pouvoir être mis sur le marché européen, les systèmes émettant des ondes électromagnétiques (par ex. téléphones, tablettes, box) doivent, pour les expositions, être conformes aux limites de protection recommandées (EN 50360 et EN 50566).
Les niveaux d’exposition induits par les antennes relais sont évalués par le biais de mesures suivant un protocole de mesure standardisé, tel le protocole ANFR en France. Ces émissions sont également encadrées, en France, par la loi Abeille relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques. Pour caractériser les variations temporelles et spatiales de l’exposition induite par les antennes relais et anticiper les potentielles évolutions de ces expositions, de nombreuses études sont menées régulièrement. En France plus de 3000 mesures sont effectuées chaque année en suivant ce protocole. Ces mesures (voir tableau suivant) montrent que les niveaux sont assez stables et très en dessous des limites sanitaires recommandés par l’ICNIRP.
ÉTAT DES ÉTUDES POUR LA 5G
Comme indiqué en introduction, la 5G soulève de nombreuses questions relatives au niveau d’exposition et aux impacts sanitaires. L’ANSES a mandaté un groupe d’experts pour évaluer l’impact du déploiement de la 5G sur l’exposition de la population aux champs électromagnétiques et les effets sanitaires possibles. De même un groupe d’experts de l’IGAS a étudié les aspects techniques et sanitaires du déploiement de la 5G. Pour partie, les fréquences et modulations opérées par la 5G sont déjà utilisées par les générations antérieures. La bande de fréquence autour des 3,5 GHz est spécifique et nouvelle mais reste dans la gamme de fréquences déjà utilisée par le LTE ou le WiFi. Reste la bande des fréquences millimétriques 26 GHz, qui n’est pas déployée actuellement et pour laquelle les experts de l’ANSES n’ont rapporté aucune étude - alors que pour les fréquences comprises entre 40 et 60 GHz les effets des ondes millimétriques ont été largement étudiés dans la littérature. Pour les experts de l’ANSES, il est « concevable de supposer que les effets biologiques potentiels des champs électromagnétiques dans cette gamme de fréquences [autour de 30 GHz] sont similaires à ceux des champs électromagnétiques à des fréquences légèrement plus élevées (comprises entre 40 et 60 GHz) ». Pour l’exposition des populations induite par les systèmes 5G opérant dans la gamme des 3,5 GHz, l’ANFR a procédé à des mesures et a publié un rapport sur les valeurs d’exposition mesurées lors de plusieurs déploiements pilotes 5G menés en France. Les niveaux d’exposition mesurés sont très inférieurs aux valeurs limites réglementaires (61 V/m dans la bande de fréquences 3,5 GHz).
Ces mesures de l’ANFR montrent également une variation importante du niveau d’exposition en fonction de l’intensité de l’usage.
Avec l’évolution des technologies et des usages, la caractérisation des évolutions spatiales et temporelles des expositions est indispensable. Dans ce but, les travaux récents menés par la chaire C2M (dédiée à la caractérisation, la modélisation et la maîtrise des expositions aux ondes radioélectriques) de Télécom Paris et de l’IMT-Atlantique montrent le potentiel des réseaux de capteurs et des outils issus de l’Intelligence Artificielle pour construire une cartographie des expositions.
Les évolutions rapides des communications sans fil, le déploiement des objets connectés et la transformation des usages, montrent l’importance de la raison d’être de Télécom Paris : « former, imaginer et entreprendre pour concevoir des modèles, des technologies et des solutions numériques au service d’une société et d’une économie respectueuses de l’humain et de son environnement ».
Joe WIART
Ingénieur Général des Mines, PhD et HDR, est titulaire de la Chaire C2M de l’Institut Mines Télécom à Télécom Paris depuis 2015.
Joe est Président du groupe de travail en charge des normes de la station de base des mobiles dans le Comité européen de normalisation électrotechnique (CENELEC). Il est aussi Président de la Commission K de l’Union internationale des sciences de la radio (URSI).
Par ailleurs, depuis 2008 Joe est membre émérite de la Société des électriciens et des électroniciens (SEE) ainsi que membre sénior de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE) depuis 2002.
POUR EN SAVOIR PLUS
https://theconversation.com/notre-exposition-aux-ondes-electromagnetiques-attention-aux-idees-recues-76056
https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-num-2019.pdf
https://www.iarc.who.int/wp-content/uploads/2018/07/pr200_F.pdf
https://www.anses.fr/fr/content/radiofréquences-téléphonie-mobile-et-technologies-sans-fil
https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/deploiement_5g_france_et_monde_aspects_techniques_et_sanitaires.
https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/tr595peerdraft.pdf
https://www.icnirp.org/cms/upload/publications/ICNIRPnote2018.pdf
https://www.icnirp.org/cms/upload/publications/ICNIRPrfgdl2020.pdf
https://www.iarc.who.int/wp-content/uploads/2018/07/pr208_F.pdf
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000226401/
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31999H0519&from=FR
https://www.icnirp.org/cms/upload/publications/ICNIRPrfgdl2020.pdf
https://www.icnirp.org/en/activities/public-consultation/index.html
https://journals.lww.com/health-physics/toc/2020/05000
https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/Publications/ANFR-brochure-directive-RED.pdf
https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/expace/2017-05-15_Consultation_publique_Protocole_de_mesure_.pdf
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030212642/
https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/expace/20200408-ANFR-analyse-mesures-2019.pdf
https://www.icnirp.org/cms/upload/publications/ICNIRPrfgdl2020.pdf
https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2019SA0006Ra.pdf
https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/deploiement_5g_france_et_monde_aspects_techniques_et_sanitaires.pdf
https://www.anfr.fr/toutes-les-actualites/actualites/lanfr-publie-un-rapport-de-mesures-sur-lexposition-aux-ondes-des-experimentations-5g-et-presente-un-nouvel-indicateur-de-mesure-de-lexposition/
https://www.mdpi.com/1660-4601/17/9/3052
https://chairec2m.wp.imt.fr/c2m/